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nom d’Ardjasp, descendant d’une ancienne famille royale. Ardjasp passa sa jeunesse avec sa tribu, chassant le buffle et guerroyant contre les Touraniens. Le soir, sous la tente, le fils de roi dépossédé songeait quelquefois à restaurer l’antique royaume de Yima[1] le Puissant ; mais ce n’était qu’un rêve sans contour. Car, pour cette conquête, il n’avait ni les chevaux, ni les hommes, ni les armes, ni la force. Un jour, une sorte de fou visionnaire, un saint en haillons comme l’Asie en a toujours eu, un pyr, lui avait prédit qu’il serait un roi sans sceptre et sans diadème, plus puissant que les rois de la terre, un roi couronné par le soleil. Et c’était tout.

Dans une de ses courses solitaires, par un clair matin, Ardjasp atteignit une vallée verte et fertile. Des pics élancés formaient un large cirque, çà et là fumaient des champs de labour ; au loin, un portique construit en troncs d’arbres dominait un groupe de huttes entourées de palissades. Une rivière courait sur un tapis de hautes herbes et de fleurs sauvages. Il la suivit et atteignit un bois de pins odorans. Tout au fond dormait, au pied d’un roc, une source limpide plus bleue que l’azur. Une femme drapée de lin blanc, agenouillée au bord de la source, puisait de l’eau dans un vase de cuivre. Elle se releva et posa l’urne sur sa tête. Elle avait le fier type des tribus aryennes montagnardes. Un cercle d’or retenait ses cheveux noirs. Sous l’arc des sourcils, qui se rejoignaient au-dessus du nez busqué, brillaient deux yeux d’un noir opaque. Il y avait dans ces yeux une tristesse impénétrable d’où jaillissait parfois un dard, pareil à un éclair bleu sortant d’un nuage sombre.

— A qui appartient cette vallée ? demanda le chasseur égaré.

— Ici, dit la jeune femme, règne le patriarche Vahoumano, gardien du feu pur et serviteur du Très-Haut.

— Et toi, noble femme, quel est ton nom ?

— On m’a donné le nom de cette source, qui s’appelle Ardouizour (source de Lumière). Mais prends garde, étranger ! Le maître a dit : Celui qui boira de cette eau, sera brûlé d’une soif inextinguible, et seul un Dieu peut l’étancher…

Encore une fois, le regard de la jeune femme aux yeux opaques tomba sur l’inconnu. Il vibra cette fois-ci comme une flèche d’or, puis elle se tourna et disparut sous les pins odorans.

  1. Le Rama indou, dont il est question au début du Zend-Avesta sous le nom de Yima et qui reparait dans la légende persane sous le nom de Djemchyd.