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explication. A coup sûr, il était, sinon dans le faux, du moins dans l’incomplet : et il était difficile qu’il ne le fût pas, puisque de son temps la science expérimentale n’était pas née. Elle est très développée aujourd’hui, mais pas pour l’enfant qui serait incapable d’en rien saisir, tandis qu’il saisit très bien que tout ce qui félonne puisse lui être donné comme le produit d’une volonté paternelle et bienfaisante. Un livre récent sur la mentalité des êtres inférieurs dit que les primitifs et les enfans ont pour tout une explication « mystique. » Je n’offenserai pas le distingué philosophe en disant qu’il n’est peut-être pas très en mesure de bien juger le mysticisme. Le mysticisme ou amour de Dieu et désir de s’unir à lui, tantôt précède la science et tantôt la suit ; dans aucun des deux cas, il n’est fait pour l’étouffer. On peut soutenir sans paradoxe que Newton a été mystique et que Descartes lui-même et Leibnitz n’étaient pas très éloignés de l’être. Ils ne l’étaient point, à coup sûr, dans leurs recherches en astronomie, en mécanique, en philosophie naturelle ; mais ils pouvaient l’être après et au-delà, comme ils auraient pu à la rigueur l’être avant : car eux aussi ont commencé par être des enfans. Je ne crois cependant pas beaucoup, je l’avoue, au mysticisme de nos petits garçons et de nos petites filles, pas plus que je ne crois à celui du bon nègre. Ce qu’il y a chez eux, c’est simplement une impossibilité de se prêter à cette explication naturelle des phénomènes par des enchaînemens d’expérience et de calculs qui ont demandé, qui demanderont des vies entières, pour ne pas dire des siècles d’efforts collectifs. Il est donc inévitable qu’ils acceptent d’abord une explication invoquant des volontés et des intentions analogues aux leurs et qu’ils s’en tiennent d’abord pour satisfaits. Soit respect pour ce qu’on leur dit sur un ton d’autorité, soit faiblesse d’attention et incapacité momentanée d’enchaîner un trop grand nombre d’idées, il est à remarquer que, quand ils ont une réponse vraisemblable qui ne les choque pas, qui ne les fasse pas rire, ils s’arrêtent. C’est un peu plus tard que leur curiosité réfléchira de nouveau et s’apercevra qu’elle a besoin d’une réponse complémentaire. S’ils estiment alors que le second mode d’explication s’ajoute au premier et ne le détruit pas, qu’on y revient même après avoir constaté que le second, à lui seul, ne résout pas tout, ils ne seront peut-être pas en trop mauvaise compagnie.