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beaucoup de choses, » se dit-elle ; mais elle se donne confiance avec cette réflexion : « Il peut tout ce qu’il veut, cela ne le gênera pas. » Puis, enfin, se souvenant d’une cousine germaine de quinze ans dont la mort vient d’attrister toute sa famille, et dont on lui a dit naturellement qu’elle était allée au ciel, elle écrit : « Mon petit Jésus, vous embrasserez bien pour moi ma pauvre Suzanne. »

Ceci est déjà très touchant. Voici qui est, j’oserai dire, plus profond. Cette même fillette de six ans est conduite par hasard en la chapelle d’un couvent. Elle voit toutes les religieuses à l’office, elle regarde curieusement, elle questionne, elle se fait rendre compte des occupations des sœurs. Il en est qu’elle connaissait déjà, pour les avoir rencontrées avec leur « corniche, » — c’est ainsi qu’elle appelle la cornette ; et quoique le costume d’une jeune mariée lui eût, à peu près à la même époque, paru beaucoup plus flatteur, elle n’en avait pas moins demandé à ce qu’on lui mît un jour une « corniche » pour venir recommander, disait-elle, à son grand-père le-placement d’un petit orphelin. Cette fois, elle a vu dans la chapelle un groupe de sœurs qui passent leur vie à prier. A peine sortie, elle dit : « Eh bien ! voilà des personnes qui aiment le bon Dieu ! cela prouve bien qu’il y en a qui l’aiment ! »

Je sais que parmi toutes ces conceptions qui brillent et qui passent comme des étincelles, il en est de moins intéressantes que celles-là. Les parens sourient aux unes et aux autres ; ils y reconnaissent leur naïve simplicité d’autrefois, qu’ils regrettent peut-être, et ils savent gré à la foi empressée de leur progéniture de leur faciliter certaines réponses à des questions embarrassantes Vais-je insinuer par là qu’ils se débarrassent purement et simplement d’un souci et d’un effort ? Leur conseillerai-je d’essayer d’apaiser cette soif de solutions en servant à leurs jeûnes questionneurs les hypothèses de la lutte pour la vie et les beautés de la loi des trois états ? J’avoue que non, et je confesse qu’à mon avis, en donnant à la raison naissante ce qu’elle peut supporter, ils la ménagent et l’encouragent à des efforts ultérieurs et s’abstiennent, selon le mot profond de Malebranche, de la « rebuter. » La curiosité incompressible de la nature humaine réclame deux ordres de réponses, les unes sur le pourquoi, les autres sur le comment. Platon donnait la préférence aux premières et soutenait qu’elles seules fournissent une véritable