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puisqu’elle ne permet pas d’en ressentir vivement le contre-coup ; mais une sympathie à laquelle le cœur s’abandonne avive à son tour les efforts d’imagination de celui qui veut s’intéresser aux épreuves d’autrui, en connaître l’étendue, en chercher les causes, en trouver les remèdes. Or, égoïste ou bon, l’enfant l’est tour à tour en quelques instans, et la prédominance d’un de ces deux sentimens sur l’autre dépend beaucoup de ceux qui sauront mériter plus ou moins sa reconnaissance.

La reconnaissance est bien en effet chez lui le premier essai, pourrions-nous dire, de bonté désintéressée. Elle suppose sans doute un bienfait reçu et goûté, c’est-à-dire un retour involontaire sur soi, un attachement à son plaisir propre ; mais enfin, ce bienfait même est déjà du passé : c’est même pour cela que tant de gens n’y veulent plus penser et que celui qui y pense, avec un certain désir de le rendre, est bien sur le chemin de la bonté.

Jusque-là, ce qu’on appelle l’égoïsme de l’enfant et son absence de pitié n’ont rien qui appelle notre sévérité, à nous surtout qui, sous ce rapport, méritons plus de reproches que lui. Son peu de pitié tient surtout, nous venons de l’indiquer, à son ignorance, à son peu d’expérience de la vie, à son impuissance à ressentir en imagination des maux qu’il n’a jamais ressentis en réalité. De même, l’oubli qu’il semble faire à certains momens d’une affection plus ancienne vient de la vivacité avec laquelle il s’est épris subitement d’une nouvelle personne. Un enfant est très affectueux pour son père et pour sa mère ; un étranger vient, le prend sur ses genoux, admire sa poupée, lui raconte une belle histoire ; l’enfant dira, sans hésiter : « Je veux m’en aller avec ce monsieur. » Il le dit sans arrière-pensée, parce que le premier mouvement n’a pas eu le temps d’être contrebalancé par un autre. Les parens sont les premiers à en rire.

La reconnaissance et la bonté apparaissent-elles de bonne heure ? et à quel âge ? C’est ce qui est très difficile à préciser, tant la vie de l’enfant est pleine de lueurs qui brillent subitement pour s’éteindre et se rallumer plus tard. Le premier témoignage que je me souviens ici d’avoir relevé est celui-ci (je pense qu’on s’attend bien à ne rien trouver que d’ « enfantin ») : une fillette encore allaitée avait pour son père et pour une de ses bonnes une affection non douteuse, au-dessus même de l’ordinaire. Or, il lui arrivait souvent de se retourner vers l’un ou