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Dieu avait donné le langage à l’homme, et l’homme fait le transmettait à ses enfans. Telle était la théorie de M. de Bonald. Pour ceux qui ne voyaient plus dans l’idée de Dieu qu’une convention ou qu’un symbole, comme pour beaucoup de psychologues spiritualistes trouvant indigne d’eux d’étudier l’âme humaine hors de son intérieur normal, il restait « la nature, » la nature qui donne aux êtres vivans des instincts transmissibles et qui a procuré à l’homme la faculté du langage comme elle a donné aux oiseaux la faculté de voler et la faculté de construire des nids. Avec un mot de changé, M. Renan reproduisait, — on n’a pas été sans le remarquer, — la théorie du philosophe traditionaliste par excellence. Essayer de démêler la part de l’initiative, de l’effort individuel, de l’invention chez le petit enfant ne semblait apparemment pas philosophique.

Aussi avait-on laissé passer quelques observations profondes dues les unes à saint Augustin et les autres à J.-J. Rousseau ; deux hommes qui ayant eu l’idée originale de faire leur confession publique complète, avaient voulu remonter jusqu’à leurs plus jeunes années, le premier pour s’accuser, le second pour s’excuser et pour se louer. Dans leurs jugemens sur l’enfance, tous les deux étaient également suspects à l’opinion courante ; celui-là l’était pour son pessimisme, celui-ci l’était pour son optimisme. Le saint évêque tenait trop, disait-on, à rendre saillante l’action du péché originel en une nature déjà toute pleine, suivant lui, de convoitises et de colère ; le philosophe voulait nous faire admirer chez l’enfant une nature excellente, qu’il ne s’agissait que d’abandonner à elle-même et à ses instincts primitifs, pour qu’elle trouvât toute seule, sans se pervertir en rien, tout ce dont elle avait besoin.

Mais par-dessous ces divergences doctrinales, il y avait une grande et importante diversité de méthodes. Rousseau n’avait fait qu’avancer une conjecture, très ingénieuse du reste. « L’enfant, disait-il, ayant à chaque instant besoin de sa mère, devait se mettre en frais pour essayer de se faire comprendre d’elle, et sa langue devait être, en grande partie, son propre ouvrage. » Saint Augustin avait creusé bien davantage : il avait analysé ses propres souvenirs, complétés par ce qu’il avait examiné plus tard chez d’autres enfans.

L’auteur des premières Confessions ne s’est donc pas borné, comme beaucoup le croient, à cette description tant de fois citée