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prolongée, les délais devraient être prolongés et réclameraient plus de patience. Il en faut encore près de nations autrement civilisées plutôt que moins civilisées, comme la Chine. Au point de vue des réserves organiques et de la force cérébrale, les distances n’y sont pas très longues. Le principal obstacle n’est pas dans l’hérédité physiologique, il est dans le laisser aller des mœurs au sein même de la famille et dans des habitudes nationales de fourberie. Mais ces dernières altérations, dans ce qu’elles ont d’excessif et de particulièrement perverti, sont d’ordre social plutôt que d’ordre physique.

Maintenant, nous en savons assez pour être convaincus qu’en étudiant l’enfant, tel que nous l’avons sous nos yeux, nous n’étudions pas, au bout du compte, un être d’exception. On a souvent reproché aux philosophes de ne point tenir assez de compte des diversités, de la soi-disant nature humaine. Ces sévères amis du particularisme psychologique voudront bien tempérer ici quelque peu la sévérité de leur jugement.

De notre côté, ne rendons pas cette indulgence trop difficile. N’attribuons par trop d’importance aux cadres classiques dans lesquels nous avons appris à ranger les facultés de l’esprit humain. Allons tout de suite, sans théorie préalable, à ce qui nous permet d’entrer en communication avec l’enfant lui-même, c’est-à-dire à son langage. Aussi bien, toutes sortes d’efforts d’imagination, de comparaison, de déduction, de volonté, se donnent-ils ici rendez-vous.

Alors qu’on observait peu les enfans, on admettait comme une chose évidente en soi qu’ils recevaient de leurs parens un langage tout fait, leurs propres balbutiemens n’ayant aucune signification que celle-là même qu’il nous plaisait de leur prêter. Sans doute, ils commençaient par reproduire le langage maternel avec gaucherie, estropiant les mots, sacrifiant la moitié des syllabes pour en redoubler une, au hasard ; mais peu à peu, leurs organes vocaux devenaient à la fois plus fermes et plus souples, plus aptes à imiter les sons produits par ceux qui les entouraient, ils répétaient ainsi les mots entendus et s’y habituaient : le rapprochement souvent renouvelé des mots désignant une chose avec la vue de la chose même les initiait bientôt, avec une rapidité croissante, au langage total. Ainsi