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coutumes ancestrales, par le fétichisme et la polygamie : sa moralité est d’une essence inférieure ; mais, malgré ces graves réserves, il faut reconnaître qu’il n’est ni amoral, ni perverti à fond. En lui survit l’essentiel de la morale naturelle. Dans la famille noire, le droit strict est mieux observé que parmi nos civilisés en voie de retour au paganisme. Il subit ici plus profondément, en mal plutôt qu’en bien, la double influence de la race et du milieu semi-européen où il est transporté : le vice en fait vite un dégénéré. »

Ceci toutefois demande à être complété. Je consulte un autre missionnaire de la même congrégation. Sans rien affaiblir de ce qui précède, voici ce qu’il ajoute : pour obtenir davantage il faut plus d’une génération et un concours plus prolongé de l’action convergente des deux hérédités. A une première génération, l’on trouve aisément des enfans pleins de foi, de courage, d’héroïsme même devant des parens qui voudraient les ramener de force au paganisme. Il est des momens où une nature jeune semble avoir secoué d’un seul coup tout le fardeau de ses misères et s’élever d’un seul bond vers un idéal aperçu dans sa pureté : elle y donne une action pure elle-même de toute arrière-pensée comme de toute crainte. Par malheur, il est aussi des instans où l’enfance se précipite d’un bond, — sans qu’on sache exactement pourquoi, — vers les cruautés ou vers les folies cachées au fond de la bête humaine. Ces derniers élans ne s’arrêtent pas toujours d’eux-mêmes. Il est également rare que les premiers se soutiennent d’eux-mêmes et suffisent à toutes les tâches. Pour prendre un cas précis, il ne faut pas essayer de faire un prêtre d’un de ces enfans récemment convertis, si pieux qu’ils soient. On l’a quelquefois essayé et on s’en est mal trouvé.

A la seconde génération, ce serait encore au moins imprudent. A la troisième, les succès sont loin d’être impossibles ; car ils sont nombreux. Autrement dit, on ne peut compter avec sécurité que sur le petit-fils des convertis ; mais alors celui-là peut faire absolument les mêmes études de latin et même de grec, de philosophie et de théologie. Il est évident qu’avec une même vigilance et une même prodigalité de dévouemens et de bienfaits, des laïques intelligens obtiendraient des résultats non moins précieux : il est non moins certain que s’il fallait opérer ce genre de sélection sur des familles du Gabon ou de l’Oubanghi, qui se ressentent davantage d’une barbarie plus