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souvent celles où ils lisent, et, quelquefois, où ils écrivent le plus. Mais, entre dix-huit et vingt-trois ans, si, à proprement parler, Chateaubriand ne « fait » pas ses études, il les refait, et il les achève. Voltaire et Diderot, Montesquieu et Buffon, Bayle et les Encyclopédistes, — l’Essai nous en est la preuve, — sont parmi ses livres de chevet. Assurément aussi il complète ses lectures d’œuvres étrangères : s’il connaissait déjà, ce qui me paraît probable, Ossian et Werther, Richardson et Shakspeare, il découvre Thomson et Gray, Young et Gessner. Il est sans doute à l’affût de toutes les œuvres nouvelles : il lit les Incas (1777), qui semblent bien lui avoir donné l’idée des Natchez ; il lit les Études de la nature (1784), et déjà peut-être songe à les récrire ; il lit, — on pressent avec quelle ferveur d’attendrissement et d’émulation, — Paul et Virginie (1787), et en lisant l’« adorable » idylle, rêve peut-être d’Atala ; il lit le Voyage du jeune Anacharsis (1788), et, avec tous ses contemporains, s’éprend d’antiquité classique. « J’avais alors la rage du grec, nous avoue-t-il dans les Mémoires : je traduisais l’Odyssée et la Cyropédie jusqu’à deux heures, en entremêlant mon travail d’études historiques. » L’aveu est précieux à retenir, et nous fait entrevoir à quelle variété de travaux et de lectures se livrait Chateaubriand, durant ces fécondes années où il préparait son œuvre. Parmi toutes les influences philosophiques et littéraires qui, à cette date, pouvaient s’exercer sur sa jeune pensée, il n’en est vraiment aucune à laquelle il ne se soit librement ouvert.


IX

Sous ce flot montant de lectures, des croyances plus robustes et plus réfléchies que les siennes auraient pu résister peut-être ; encore y eût-il fallu, à défaut d’une volonté plus ferme, l’action d’un autre milieu, et aussi d’autres habitudes morales ; le christianisme de Chateaubriand, déjà entamé, ce semble, ou du moins affaibli au moment où il quittait Combourg, s’évapora très vite au contact de la « philosophie » contemporaine. Dans quelles conditions exactement s’opéra cette rupture ? Y eut-il une « crise ? » Combien de temps dura-t-elle ? et quels en furent les caractères ? Quelles influences précises, quelles objections décisives emportèrent les dernières résistances ? Dans cette âme de jeune homme, la foi s’éteignit-elle par une sorte de dégradation