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faisaient entendre avec le plus d’importunité étaient celles de ses détracteurs.

Quelqu’un existait, à qui Bismarck reconnaissait le droit de critiquer la politique religieuse : ce quelqu’un, c’était Bismarck lui-même. Mais si le canoniste Geffcken prenait une telle licence dans son gros livre : Église et État, le chancelier s’irritait ; et le prince impérial Frédéric, qui recommandait Geffcken au chancelier, recevait une lettre presque impertinente, où Bismarck traitait Geffcken de « protestant de droite affilié au Centre et aux Jésuites et hostile à l’empire allemand. » Pour être réputé bon Allemand, le plus sûr était, toujours, de faire devant Bismarck l’éloge de Falk et des lois Falk.


Non seulement l’État n’a rien obtenu, disait cet audacieux Geffcken mais il a fait le contraire de ce qu’on voulait faire. Il a fourni aux évêques prussiens l’occasion de prouver que leurs intérêts temporels n’avaient été pour rien dans leur soumission aux décisions du Concile, dans ce Sacrificio dell’ intelletto qu’on leur reprochait et qui avait endommagé leur crédit. Il espérait détacher le clergé inférieur de l’épiscopat ; le clergé est demeuré fidèle. Il voulait émanciper les laïques, les laïques forment aujourd’hui une phalange serrée, commandée par ces chefs contre lesquels on se proposait de les insurger. Il est impossible que le gouvernement reste longtemps en guerre avec le tiers de la population, et l’on ne voit aucun moyen de briser une résistance passive organisée par le fanatisme. Quand une loi serait juste, qu’est-ce donc, pour un homme d’État, qu’une loi qu’il ne peut faire exécuter ?


Bismarck trouvait une insupportable insolence dans cette façon qu’avait Geffcken de constater la réalité des faits. Au reste de plus en plus, il en voulait à tous, à ceux qui l’avaient poussé dans cette guerre comme à ceux qui avaient refusé de l’y suivre. Il se plaignait de la conservatrice Gazette de la Croix, où un certain capitaine Perrot l’attaquait avec violence ; il songeait, même, à des poursuites judiciaires. Il se plaignait au national libéral Benda de quelques nationaux-libéraux comme Miquel qu’il avait trouvés tièdes dans la lutte contre l’Eglise. Et puis, parlant à son familier Tiedemann, il murmurait contre le gros du parti national-libéral ; de jour en jour, lui disait-il, cette fraction perd la capacité d’énoncer clairement une pensée politique. Il se déchaînait surtout contre Lasker, contre ce Lasker qui, dès le début pourtant, avait combattu le Centre ; cet homme-là, disait-il, c’est la maladie de l’Etat ; il le mettait encore au-dessous de Windthorst. Et une autre fois, faisant