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argumens ; ils en manquent d’autant moins que leur allure a quelque chose qui plaît, séduit et entraine, et c’est en quoi ils sont dangereux. S’ils ne l’ont pas été, ou s’ils ne l’ont été que partiellement et accidentellement sous l’ancien ministère qu’ils ont trouvé instruit, informé, averti, comme on dit maintenant, avec le nouveau, ils ont repris d’un seul coup de grands avantages, et on a vu la situation se modifier du tout au tout. Les circonstances s’y sont prêtées assurément. Le mystère marocain s’est éclairé de lueurs incertaines, équivoques, troublantes ; mais une campagne de presse, menée avec adresse et vigueur, a encore aggravé au jour le jour ce que la situation avait d’inquiétant. On s’est adressé à notre sensibilité, à notre émotion, pour nous dicter impérieusement des devoirs dont le principe était contestable et dont l’accomplissement docile devait nous conduire à une série de conséquences dont nous sommes encore loin d’entrevoir la fin. Pendant quelques jours la France a vécu dans l’anxiété en songeant à la situation critique où se trouvaient le colonel Mangin, le commandant Brémond et les colonies européennes à Fez ? Des officiers français, des compatriotes, des Européens dignes de notre sympathie étaient menacés : n’était-ce pas le devoir de la France de les dégager à tout prix ? Son devoir absolu, il faut avoir, en dépit du préjugé populaire, le courage de dire que non. Le colonel Mangin et le commandant Brémond ont été mis à la disposition du Sultan ; ils combattent sous le drapeau chérifien ; ils n’engagent pas le nôtre. On dit, à la vérité, que la cause du sultan du Maroc et celle de la France se confondent aujourd’hui, et que nous ne devons pas recommencer avec Abdul-Hafid la faute qui nous a fait abandonner Abd-el-Aziz. Cette conception politique qui, à force d’être affirmée, est en passe de devenir une vérité incontestée, n’en est pas moins une erreur incontestable. Que nous importent la personne et le nom du sultan du Maroc ? Ce sont là des contingences dont notre politique peut sans doute tenir compte, mais dont elle ne doit pas s’embarrasser outre mesure. L’intérêt même de la sécurité des colonies européennes, quelque important qu’il soit, n’était pas de ceux qui justifient tous les sacrifices.

Qu’on nous pardonne ces observations rétrospectives ; elles ont pour objet de préciser les responsabilités initiales pour le jour où chacun devra supporter la sienne ; mais nous n’en sommes plus là, les événemens ont marché vite en quelques jours, et nous nous trouvons en présence d’une situation nouvelle. Quelle est-elle ? Il est imprudent de vouloir en fixer les traits, car ils changent sans cesse et