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Saisie le 27 janvier 1852 par lord John Russell d’un projet de réforme électorale, qui élargit les frontières de la cité politique, elle l’approuve : « L’extension du droit de vote était presque inévitable, et il valait mieux faire cette réforme tranquillement, que d’attendre d’être obligés de céder, lorsqu’elle nous aurait été réclamée à cor et à cri. »

Somme toute, elle a toujours réfléchi, elle a souvent discuté, elle a parfois lutté. Mais elle n’a jamais fermé la porte, en faisant claquer les battans. Qu’il s’agisse de réformes administratives comme l’institution du concours, de mesures militaires comme la nomination de professeurs civils ou la réduction des effectifs, de projets législatifs comme la séparation de l’Eglise et de l’Etat en Irlande (1868), et la révision de la loi électorale de 1884, elle a toujours cédé à temps, quand elle sentait derrière le Cabinet une majorité parlementaire, et derrière la majorité l’opinion publique.

Quand il s’agit d’une question grave, qui met en jeu des forces religieuses ou des intérêts sociaux, Victoria, si les ministres y consentent, négocie avec leurs adversaires pour obtenir une transaction, enrayer le conflit, limiter l’incendie. Elle atténue la violence des luttes politiques et arrête l’élan de la poussée démocratique. Elle obéit ainsi à la fois à son devoir monarchique et à ses sympathies personnelles. Elle défend la paix publique et sauvegarde l’unité nationale. Elle fait œuvre conservatrice et calme les passions victorieuses.

Quand le projet de loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat vient éveiller ses scrupules moraux et blesser sa foi religieuse[1], Victoria intervient trois fois. Le 12 février 1869, avant que le Parlement ne soit saisi d’un texte décisif, la Reine décide Gladstone, avec l’aide de lord Granville, à accepter de négocier avec le Primat anglican une entente amiable. Un premier échec ne la décourage pas. Les 3, 4, 5 juin, par des démarches pressantes, elle obtient de l’archevêque Tait qu’il ne s’oppose point au vote de la loi en seconde lecture par la Chambre Haute, et évite ainsi un conflit dangereux entre les Communes et les Lords. La politique des amendemens concilians l’emporte, grâce à Victoria, sur celle du rejet pur et simple. Mais les députés repoussent les modifications des Pairs. Afin d’aboutir, Gladstone

  1. Cranbrook Papers, I, p. 274.