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disparu. Ce fut un touchant et magnifique spectacle. Il y avait là de nombreux amis en deuil, et l’on vit bien des poignées de main échangées. Mes meilleurs vœux et une prière les accompagnent tous…


La gloire des armes n’a rien qui répugne à la reine Victoria. Elle accepte, sans trembler, le prix auquel les nations l’achètent, pourvu que le sacrifice soit imposé pour des causes justes ou pour des intérêts majeurs. Elle ne régnait que depuis peu d’années, lorsque éclata en 1841 le conflit avec la Chine. Elle est aussi indignée que lord Palmerston contre Charles Elliot, qui « s’efforça d’obtenir les conditions les plus modérées qu’il put (13 avril). » Elle partage l’admiration de son ministre pour le combat heureux de Chorempée. « L’attaque et la prise d’assaut des forts furent brillamment menées par l’infanterie de marine, et il y eut un immense massacre de Chinois. » Elle enregistre avec satisfaction l’annexion de Hong-Kong. Et l’année suivante, de nouvelles victoires dans la vallée du Yang-Tsé-Kiang et dans les montagnes de l’Afghanistan accroissent le culte reconnaissant de la jeune femme « pour ses troupes. » Mais c’est au cours de la guerre de Crimée qu’elle éprouva ses plus ardentes émotions. Elle vécut jour par jour, heure par heure, toutes les péripéties de la lutte. Elle acclame les vainqueurs. Elle salue les morts. Elle visite les blessés. Elle gourmande les retardataires. Elle presse les renforts.

C’est d’abord l’Alma, « une splendide et décisive victoire, mais, hélas ! elle fut sanglante. Nos pertes sont sérieuses, — de nombreux morts et blessés. Mais mes nobles troupes se sont conduites avec un courage et un acharnement admirables… Je suis si fière de mes nobles et chers soldats, qui, dit-on, supportent les privations et la triste maladie, qui les éprouve encore, avec tant de courage et de bonne humeur. » Mais le succès n’a point été décisif. La lutte se prolonge acharnée, et les émotions de la Reine redoublent :


14 novembre 1854. — La tête me tourne ; je suis si bouleversée et agitée ; et mon esprit est tellement absorbé par les nouvelles de Crimée que j’en arrive à oublier le reste, et ce qui pis est, la confusion se met dans mes idées au point que je suis un piètre correspondant. Toute mon âme et tout mon cœur sont en Crimée. La conduite de mes chères nobles armées est au-dessus de tout éloge. Elle est absolument héroïque et je ressens vraiment, à l’idée de posséder de tels soldats, une fierté qui n’est égalée que par la peine que me causent leurs souffrances.