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L’ŒIL ET LA MAIN
DE
M. INGRES

À LA GALERIE GEORGES PETIT

Un soir, M. et Mme Ingres s’étaient rendus, en grande cérémonie, à une réception officielle. M. Ingres avait composé lui-même la toilette de sa femme, je veux dire la première, née Chapelle, celle dont on voit, en ce moment, à la galerie Georges Petit, le portrait ébauché sous le n° 23. Il l’avait composée sans doute selon une de ces harmonies cacophoniques dont il avait le secret : peut-être y avait-il suscité des bleus comme le bleu de la Vierge à l’Hostie, en bataille contre un de ces groseilles lilas, comme le lilas de Mme Gonse, et avait-il cru tout concilier en reverdissant le tout de l’éclat légumier qu’on s’épouvante d’apercevoir dans l’Odalisque à l’esclave. Toujours est-il que, si peu regardant qu’on fût alors aux couleurs des toilettes, l’effet fut désastreux. On s’ébahissait, on chuchotait, on se retournait, on prenait note de ces couleurs à ne pas mettre ensemble. M. Ingres allant et venant dans les groupes, assez bien dissimulé à cause de sa petite taille, entendait tout. Il s’approcha vivement de sa femme et lui dit : « Partons ! — Pourquoi Jonc ? — Partons, partons ! Tu es mise de façon ridicule… Tu ressembles à un perroquet… Tout le monde s’en aperçoit. Nous allons être la fable de Paris. » Et ils s’en allèrent, elle digne et