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séductions de l’image et de la promesse, d’attirer sur leurs rails : le touriste. Une grande Compagnie de navigation ne nous laisse pas ignorer que « tout bon Français doit visiter l’Algérie et la Tunisie. » Mais s’il était vrai que uni bene ibi patria — le confortable, voilà la patrie ! — la libre patriotique du Français risquerait peut-être souvent d’être désagréablement froissée de l’autre côté de la Méditerranée. En dehors des grandes villes, en Algérie comme en Tunisie, une hospitalité quelquefois rudimentaire s’offre au voyageur de passage. Il hésite à s’écarter des sites connus, il hésite surtout à prolonger son séjour, n’ayant le choix qu’entre le palace dispendieux des grandes villes ou l’hôtellerie insuffisante des petites. Le médiocre développement du tourisme algéro-tunisien n’a point jusqu’ici d’autre cause. Le Français traverse l’Algérie et la Tunisie, à Pâques et à l’automne ; il y séjourne rarement. L’Allemand y vient, de plus en plus nombreux comme partout, en caravanes pressées. L’Anglais ne s’écarte guère d’Alger, port d’escale des paquebots nationaux vers l’Extrême-Orient, quai de déchargement des charbonniers de Cardiff et de Swansea, presque anglaise en certains coins de sa banlieue de Mustapha. L’Egypte, « à cinq jours de Paris, » a beaucoup nui, le snobisme aidant, à la Tunisie, qui n’en est qu’à deux. Mais si le courant d’émigration hivernale vers l’Egypte ne fait que croître, il est impossible que tôt ou tard la Tunisie, dont les admirables oasis du Sud, Gabès, Nefta, Tozeur, vont devenir des buts de voyage fort accessibles, ne bénéficie pas de semblable fortune. N’a-t-elle pas pour elle le plus vivant tableau d’Orient, « Tunis la Blanche, » l’air le plus transparent et le mieux dépouillé des brumes occidentales, tous les amoncellemens de pierres rouges qui commémorent la grandeur romaine, toute la luxuriance des palmeraies sahariennes, une colline où Carthage a eu sa citadelle et saint Louis son lit de mort, et ne vaudrait-elle pas déjà d’être connue par la seule réussite d’un des plus beaux efforts français ?


JACQUES LACOUR-GAYET.