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entreprise française, le 6 mai 1876, du premier chemin de fer à long parcours de la Régence, de Tunis au lieu dit de la Dachla-Djandouba, tronçon primitif de la ligne algéro-tunisienne de la Medjerdah. Qu’on se représente le Maroc d’avant Algésiras ou la Perse contemporaine : telle était la Tunisie des années qui précédèrent le Protectorat, champ clos d’intrigues et de compétitions internationales.

Autour d’une commission financière de contrôle instituée en 1869, les rivalités de la France, de l’Angleterre et de l’Italie, installées dans la place, se donnaient libre jeu. Il fallut toute la diplomatie de notre représentant à Tunis, le consul général Roustan, pour obtenir du général Khérédine, premier ministre, cet avantage décisif, escompté par les Anglais, concessionnaires depuis 1871 d’une ligne de banlieue, et par les Italiens, qui le signalèrent à la tribune de leur Parlement comme une victoire de l’influence française. Deux ans après intervenait la concession du prolongement jusqu’à la frontière algérienne. Le « Grand Central Algérien, » Tunis-Oran, avait un de ses anneaux soudés ; la France, maîtresse de la province de Constantine, s’ouvrait une porte d’entrée dans la Régence. Les intérêts français en jeu étaient si évidens, qu’il parut indispensable que la Compagnie française concessionnaire du réseau algérien limitrophe, la Compagnie Bône-Guelma, constituée en 1870, fût aussi exploitante du nouveau réseau tunisien. Le pouvoir beylical n’intervenant que pour ratifier, avec un peu d’étonnement, les faits accomplis, la Compagnie Bône-Guelma fut rapidement substituée à la Société des chemins de fer de la Medjerdah, filiale elle-même de la Société des Batignolles concessionnaire, et reçut du gouvernement français, fait significatif pour un réseau concédé sur terre étrangère, l’engagement d’une garantie de revenu et d’exploitation. La construction prit environ trois ans. Une disposition, insérée à la requête du gouvernement beylical dans l’acte de concession, prévoyait que les gages des ouvriers seraient « égaux à ceux payés par d’autres pour des travaux identiques. » N’est-il pas curieux de voir la « clause ouvrière » de nos plus modernes contrats de travaux publics pressentie par les bureaux du général Khérédine ?

Pendant l’expédition de Tunisie, la ligne de la Medjerdah, qui parvenait à cinq kilomètres de la frontière algérienne,