Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/363

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet exil bizarre et honorable, lostracisme : les Grecs ne l'infligeaient pas sans regret et sans tristesse à des citoyens fort estimables, mais que les circonstances avaient rendus dangereux. Socrate, avec les nouveautés de son rationalisme, parut mettre en péril la conscience nationale, réglée par une foi qu'on avait acceptée depuis longtemps et à laquelle on s'était heureusement accoutumé. Quant au fait de sa mort, eh bien ! la mort ne fut point, aux yeux des Grecs, un objet d'effroi. Socrate mourut avec facilité. Mais il était un vieux philosophe ? La petite Iphigénie elle-même a, dans son désespoir, un sourire. Et, si l'on regarde les stèles de marbre que les Grecs plaçaient sur les tombes, on n'y voit pas de scènes déchirantes : le mort fait doucement ses adieux, tend à ceux qu'il va quitter une main calme ; les survivans le saluent. Les visages sont tranquilles ; et il y a, dans la mélancolie du départ, une sérénité qui va jusqu'au sourire, quelquefois.

C'est à l'aniversel sourire que je suis toujours amené lorsque je tâche de résoudre l'énigme nombreuse de la Grèce. Je l'aperçois dans toute la vie grecque, dans toute la pensée de ce peuple privilégié, dans sa religion même qui, autrement, avait les caractères de toute religion.

Comme je songeais à cela et à ce vieillard d'Égypte qui disait au jeune Solon : « Vous serez éternellement des enfans, vous, les Grecs ! » le soir, peu à peu, tomba sur l'Acropole. Le soir fut digne de la journée admirable.

La blancheur d'Athènes devint grise, et les cyprès qui, de place en place, érigent parmi la pierre bâtie leurs fuseaux minces, noircirent. Les avenues de poivriers se noyèrent dans la pâleur environnante. La colline pointue et fine du Lycabette eut les tons jaunes et verts et vernissés des anciennes peintures persanes qu'on garde sous verre. Les montagnes, l'Hymette et le Pentélique, bleuirent ; puis, en passant par les nuances du mauve, elles rougirent et enfin devinrent toutes roses, La mer, de l'autre côté, se colora de carmin ; Salamine, un peu plus foncée, y dessina sa forme célèbre. Il n'y avait dans ces magnificences, nulle ombre ; et l'on eût dit d'une grande aquarelle, peinte avec délicatesse et largement, sans gouache : toutes les couleurs étaient pures et transparentes. Il n'y avait pas d'autres couleurs que celles de la lumière.

La lune, à son premier quartier, parut au ciel et jeta son