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ils le reléguaient dans leurs tragédies. Ils redoutaient les prodigalités de la fortune et comptaient sur les justes revanches de la Némésis pour établir une sorte d'équilibre entre les hasards.

Dans leur sourire, il y a de la plaisanterie. Je ne crois pas qu'ils aient pris, à notre manière, la vie tout à fait au sérieux. Ils ont regardé avec enjouement la vie et la mort. Ce n'est pas du scepticisme ; c'est plutôt une espèce de judicieuse ironie.

Ils étaient familiers envers les dieux de leur Olympe ; ils les traitaient un peu comme de grands despotes avec lesquels on peut, somme toute, s'arranger. Ils étaient familiers envers les idées les plus imposantes ; et ils ne les méprisaient pas, mais ils avaient soin de n'être pas dupes. Leur religion est riche de badinage, leur patriotisme entend raison, leur honneur admet la patience.

Leur sourire indique l'aisance heureuse de leur esprit. Ils ne se guindaient pas ; et, leur esprit, ils l'engageaient à se jouer parmi les phénomènes et le commentaire. Leur dialectique en témoigne. Il y a, entre les argumens industrieux de Zénon l’Éléate et les principes du nihilisme moderne, la différence qui sépare de la frénésie farouche l'aimable divertissement. Leurs sophistes ont parcouru toute la Grèce en y répandant le plaisir de l'ingéniosité logique. Et les antinomies nombreuses que pose et que transpose le Parménide de Platon, je les vois comme le sourire de la raison discursive.

De même que les alternances de la lumière et de l'ombre unissent délicatement, fondent et combinent les diverses couleurs d'un paysage, le sourire accorde les contrariétés de l'intelligence. Et, faute d'être bien attentifs à ce sourire, nous sommes étonnés des mélanges de négoce et de religion, de gaudriole et de mysticisme, d'industrie et de thaumaturgie, de gymnastique et de philosophie, d'impertinence et de foi que présentent Délos, Éeusis, Épidaure, Olympie et Delphes, les sanctuaires les plus illustres et pieux, où il est certain que la Grèce a réalisé son meilleur idéal. Le sourire assemble tout cela ; il améliore la turpitude et il adoucit l'orgueil de la beauté trop pure et arrogante ; il npaise les querelles et concilie les inimitiés. Il accomplit une besogne un peu narquoise et fraternelle, une besogne de plaisante charité intellectuelle.

C'est le sourire méditerranéen. Les rivages de cette mer si bleue en sont enchantés comme de leurs moissons de fleurs. Et