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et rose, Salamine, les côtes dentelées de l'Argolide et puis, au large, les îles, pareilles à des fleurs d'eau ; pareilles à des nymphéas roses, rouges, blancs, jaunes ; pareilles, les plus petites, à des pétales qui, du ciel épanoui, seraient tombés sur la mer.

Et l'on dirait que la mer a fleuri.

Elle est merveilleusement bleue ; et elle arrange, et elle organise au gré de son perpétuel mouvement les nuances multiples de l'azur.

Il y a trois anneaux qui nous entourent, l'anneau d'émeraude, l'anneau d'azur, puis l'anneau doré des promontoires ; et il y a le ciel qui prodigue la splendeur de son lumineux cristal.

Pontiôn kumatôn anèrithmon gélasma, rire innombrable de la mer, — ces quatre mots d'Eschyle vous chantent à l'esprit et aux oreilles, quand, du temple éginète, vous regardez le bel espace, préparé pour des arrivées divines. Et telle est l'adorable gaieté du paysage.

Un peu de brise frôle la surface unie de la mer. Elle y dessine des plis menus et analogues aux petits angles retroussés par lesquels les peintres anciens marquaient si justement l'agitation des vagues. Ce sont, parmi la mer, autant de lèvres souriantes. Elles bougent ; et l'innombrable sourire parcourt les flots. Il y éveille une allégresse miraculeuse. Il gagne les horizons et il emplit de son heureux symbole le paysage. Le paysage tout entier n'est qu'un sourire immense et glorieux.

Ô Égine, tu as reçu des flots environnans et du ciel et de lointains rivages le sourire que tu croyais inventer.

Le temple d'Aphaïa, dont il ne subsiste que les colonnes et les architraves, était surmonté de frontons adorables. Je les ai vus, dans leur exil bavarois, à la glyptothèque de Munich où on les relégua, le prince Louis en ayant fait l'emplette. Les pierres ont leur destinée, souvent extravagante ; et les débris de l'art grec, épars dans le monde, charment ici ou là les barbares qui les ont emportés : ainsi les petites esclaves ravies sur les côtes de l'Asie Mineure ou de l'Hellade amusaient de leur danse ou de leur chant les pirates des mauvais pays et leur enseignaient une grâce imprévue.

Les frontons d'Égine datent exactement de l'époque qui a suivi les guerres médiques. Le sculpteur y avait représenté de mémorables épisodes. C'est Héraklès et Télamon, fils d'Æaque, luttant contre le perfide Laomédon ; et c'est Ajax et Teucer défen-