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l'oublier, les lignes admirables d'un temple ne suffisaient pas.

L'Acropole, avec la diversité de ses édifices, m'apparut comme le symbole des contrariétés les plus évidentes.

Et le Parthénon n'est pas un temple où il faille supposer que dure obstinément, par delà l'immense afflux des temps, une intime pensée religieuse. Que de tribulations n'a-t-il pas éprouvées ! À peine avait-il plus d'un siècle, — et c'est la petite jeunesse d'un monument, — il fut transformé en harem : Démétrios Poliorcète y installa ses courtisanes et lui. Le temple devint un palais, et voluptueux. Il nous est difficile d'imaginer qu'Athéna soit restée en telle compagnie. Ensuite, le temple devint une église chrétienne ; la statue chryséléphantine d'Athèna fut emportée à Constantinople, et la Théotokos, Vierge mère, la remplaça. Dans le pronaos, aménagé en abside, on établit l'autel, sur les murs, on peignit des fresques saintes, et l'on substitua au plafond une voûte qui eût la forme du ciel mystique. Plus tard, le temple devint une mosquée, avec un minaret singulier que n'avait pas prévu Phidias et au sommet duquel fleurirent des prières que n'entendait pas Athèna. Plus tard encore, le temple devint une poudrière ottomane. Enfin, le temple devint ce qu'il est aujourd'hui, une ruine.

Quelle idée originelle aurait survécu à de telles brutalités, à de tels avatars et à ces déménagemens que font les occupans successifs avec tant de rudesse ? Si nous attribuons volontiers à un monument une individualité obscure et authentique, le Parthénon n'a pas eu la calme destinée qui préserve un caractère et lui permet de s'épanouir. Il a, en quelque sorte, mal vécu et il ressemble à tel aventurier qui, ayant maintes fois bouleversé son esprit, ne garde plus, en sa vieillesse, rien qui rappelle l'enfant qu'il fut.

Avec cela, le Parthénon, même en sa pureté première, ne fut guère un temple, selon la signification que nous prêtons à un tel mot. La piété des Athéniens se confinait plus dévotement à l'Érechthéïon. Le Parthénon logea les trésors d'Athèna et ses comptables, ses trésoriers, ses économes. Surtout, on l'appréciait comme une œuvre d'art accomplie. On le devait à Périclès, fin politique, l'ami de ce Phidias qui détourna la religion vers la beauté, l'ami de cet Anaxagore qui traduisait en métaphysique la religion. Ces parfaits idéologues et artistes accomplirent là une merveille de leur goût puissant et fin.