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Seine, la limite de la Normandie est dès le début la limite consacrée.

La ligne de démarcation sur la rive gauche est plus difficile à établir. Toutefois, nous avons une indication de premier ordre dans le diplôme de Charles le Simple déjà cité. Le roi cède à l’abbaye de Saint-Germain des Prés l’abbaye de la Croix-Saint-Ouen, « sauf la partie déjà abandonnée aux Normands. » La Croix-Saint-Ouen, c’est aujourd’hui la Croix-Saint-Leufroy, village situé sur la rive droite de l’Eure, à une douzaine de kilomètres de Louviers et d’Évreux. L’Eure était frontière à cet endroit, puisque nous voyons qu’une partie des terres de l’abbaye avait été cédée aux Normands et qu’une autre était restée au roi. La partie cédée aux Normands ne peut être que celle qui se trouvait sur la rive gauche, c’est-à-dire du côté d’Evreux : c’était la moins considérable puisque l’abbaye, comme le village actuel, était sur la rive droite. La donation même du roi l’indique ; car ce qu’il cède en 918, c’est l’abbaye ; ce qu’il déclare avoir cédé en 911, c’en est « une partie. » De ce texte résulte une importante constatation : Evreux, c’est-à-dire le diocèse d’Evreux, a été cédé aux Normands dès 911, ce qui nous étonne d’autant moins que nous ne voyons pas quand ni comment il l’aurait été plus tard. Mais il en résulte aussi que l’Eure marquait la frontière de la Normandie à la hauteur de la Croix-Saint-Leufroy, ce qui n’est pas la frontière classique. Il restait ainsi en dehors de la Normandie le plateau péninsulaire situé entre la Seine et le cours inférieur de l’Eure, ce qu’on appelait alors le pays de Madrie. Cette opinion est confirmée par les noms de village. Sur l’Eure, on en trouve une série d’origine normande, qui jalonnent cette frontière primitive, Ecardenville, Ocreville, Heudreville, Pinterville, Incarville. Sur le plateau, on n’en trouve plus, preuve que les Normands ne s’y sont établis que plus tard, postérieurement à leur conversion qui les faisait changer de nom. On a remarqué aussi ailleurs, dans le pays de Caux par exemple, que les Normands se sont fixés dans les vallées avant d’aborder les plateaux. L’Eure qui forme encore la limite de la Normandie en amont de Bueil, la formait donc aussi en aval, sinon jusqu’à son embouchure même, du moins jusque vers la plaine où sa vallée se confond avec celle de la Seine. On trouve, vers la chute du plateau de Madrie de ce côté, un Heudebouville. Il y aurait d’ailleurs