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avoir infligé une défaite aux envahisseurs, ne trouve personne pour garder un fort qu’il a construit afin de les tenir en respect. L’exemple des grands est suivi par le peuple. Les Normands trouvent des recrues parmi leurs victimes. Il n’est pas probable que le fameux Hastings fût un paysan des environs de Troyes, comme l’a dit un chroniqueur, mais les transfuges de moindre marque sont nombreux. Charles le Chauve parle des ravages commis par les Normands « ou par d’autres. » De même, au moment du grand siège de Paris, l’archevêque de Reims écrit : « Entre Paris et Reims, aucun lieu n’est sûr, sauf la demeure des chrétiens pervers et complices des barbares. Le nombre est grand de ceux qui ont abandonné la religion chrétienne pour s’associer aux païens et se mettre sous leur protection. » D’ailleurs, à quoi bon résister ? La croyance était partout répandue que les Normands étaient un fléau envoyé par Dieu pour châtier les iniquités des peuples. C’est une idée qu’on retrouve, en termes identiques, chez tous les annalistes, qui sont tous des ecclésiastiques, et qui sont particulièrement frappés, à ce titre, des profanations de reliques ou des dévastations d’églises et de couvens. Elle avait pour but de corriger les pécheurs, mais pour effet le plus fréquent d’engendrer une sorte de fatalisme qui paralysait la défense. A furore Normannorum libera nos, Domine, chantait-on dans les litanies. Mais le ciel n’aide que ceux qui s’aident eux-mêmes.

Parfois on achetait le départ des Normands. Mais c’était un marché de dupe. Tout traité conclu par eux n’engage que les chefs qui y ont personnellement adhéré. Quand les uns s’en vont, il en vient d’autres qui ne savent rien ou ne veulent rien savoir. Ainsi Charles le Gros au siège de Paris paie les Normands pour en être débarrassé. Mais leur chef, Siegfried, absent au moment de l’accord, ne se tient nullement pour engagé et poursuit l’empereur jusqu’à Soissons. Il y a du reste si peu de solidarité entre leurs bandes que Charles le Chauve en prend une à sa solde pour en chasser une autre de l’île d’Oscelle. Pour plus de sûreté, on essaie parfois de les baptiser. Qu’à cela ne tienne : ils se laissent baptiser, quitte à massacrer leur parrain au premier jour. On faisait cadeau d’une belle robe blanche aux néophytes. Le moine de Saint-Gall nous raconte qu’un d’entre eux à qui on en offrait une moins fine la refusa avec dédain : « Gardez votre casaque pour un vacher.