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« bohème » resté toujours enfant et qui a ce bonheur, à cinquante ans, de retrouver une fille à lui, dont il s’empresse, et c’est ce qu’il y a de mieux à faire, de devenir le fils.

C’est, dans Daniel Cortis, le comte Lao, esclave de son rhumatisme, harcelé par les courans d’air, prisonnier de ses petites commodités et si généreux qu’il est capable de secouer toutes ses terreurs et de s’évader de toutes ses servitudes pour se dévouer quand la charité parle. C’est dans Petit monde d’autrefois le professeur Gibordani, timide, maniaque et amoureux quinquagénaire c’est-à-dire avec la timidité de la seizième année. C’est, dans Petit monde d’aujourd’hui, la marquise Scremin, avec l’œuf qui manque et qu’il s’agit de savoir qui l’a mangé et si c’est le majordome, la cuisinière, la femme de chambre ou le mari.

Et les prêtres, la galerie des prêtres, tous marqués de traits très individuels et qui attirent l’attention et qui fixent impérieusement l’idée qu’on en doit avoir…

Tous ces personnages secondaires, richesse presque surabondante de l’œuvre, sont-ils vrais ? Oui, répond Fogazzaro dans cette préface de Malombra si précieusement documentaire. « A côté de ces créatures idéales [produits de mon imagination] il y a dans Malombra un certain nombre de personnages très réels, qui ont fait souche et dont les fils et petits-fils se promènent dans mon œuvre un peu partout. Ce sont des personnages comiques à la physionomie étrange et aux allures bizarres. En les reproduisant, j’ai fait surtout œuvre d’observation ; car cela a été mon bonheur ou mon malheur, comme on voudra, de rencontrer dès mes premiers pas dans la vie beaucoup d’êtres tout à fait singuliers et d’un comique touchant à l’invraisemblable. Quoique j’aie cherché à les atténuer par-ci, par-là, à leur enlever certains traits d’une bizarrerie poussée à l’excès, j’avoue qu’ils sont encore un peu extraordinaires. Steinegge est l’aîné de ma nombreuse progéniture comique. Je l’ai tiré tout vivant de la réalité… »

Ils sont donc vrais. Sont-ils reproduits avec fidélité ou, quoi qu’en dise Fogazzaro du soin qu’il a pris à les atténuer, sont-ils stylisés cependant dans le sens burlesque et c’est-à-dire inconsciemment exagérés ; ou sont-ils atténués comme il arrive qu’on atténue, en déblayant, ce qui ne fait que plus ressortir les traits aigus, ceux qu’on a laissés tomber n’étant plus là pour