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chances d’être excentriques ; ou banalité ou paradoxe, l’auteur est toujours entre ce Charybde dangereux et ce Scylla lamentable. Peut-être Fogazzaro n’a guère peint que des femmes passionnées et peu idéalistes parce qu’il n’avait rencontré que des femmes peu idéalistes et passionnées.

Peut-être aussi, très convaincu intimement, et ce dont je ne lui fais aucun reproche, très convaincu intimement, malgré sa modestie, qui fut vraie, qu’il portait en lui la vérité, la haute et féconde vérité, le principe de régénération, s’est-il dit que la haute pensée, philosophique, sociale, religieuse, appartenait à l’homme, que de l’homme devait venir le salut et de l’homme seul et de l’homme affranchi de la femme. Il y a, très évidemment, un peu de Benedetto dans Fogazzaro, et Benedetto ne laisse pas de mépriser un peu la femme. Il ne lui dit pas : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » (ce qui, du reste, si on le prend pour une traduction de l’Evangile, est un violent contresens), mais il lui montre le mot inscrit en grandes lettres sur le mur du couvent : Silentium. En choses de haute spiritualité, Fogazzaro a un peu dit aux femmes : Silentium.

Enfin je ne sais ; mais un certain soin, très évident après Daniel Cortis, de ne jamais donner le plus beau rôle à la femme est une chose, de quelque façon qu’on l’explique, qui est remarquable.

Il faut noter cependant que dans son dernier roman, Leila, que l’on vient de lire ici même, Fogazzaro a donné enfin à une femme, Donna Fedele, le rôle éminent, le rôle de la haute sagesse, du sens droit et sur uni à la générosité, à la charité et au dévouement d’un grand cœur. Donna Fedele me semble être la plus belle création morale de Fogazzaro. Elle restera classique.

Quant au roman lui-même, il reste bien, quoi qu’on en ait dit, dans la ligne générale de la pensée de Fogazzaro. Il n’est pas une rétractation. Plus que jamais et même avec une insistance qui ne me plaît pas outre mesure, il poursuit les « mauvais prêtres » et ceux qui les entourent et qui subissent leur domination ou leur influence. Il est vrai que « le Saint » a disparu ; qu’on ne trouve plus ici le personnage en révolte contre l’Église en faveur de l’Eglise elle-même et réformateur par immense dévouement à l’égard de ceux qui ne veulent être réformés que spontanément. Le grand personnage