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son mari, mais qui est mariée. L’horreur du double adultère et la passion qui semble légitimée par le haut mérite de la femme aimée se partagent et déchirent le cœur de Pierre, et aussi celui de Jeanne. Ils sont sauvés par le retour d’Elise à la raison et par sa mort. Elise a retrouvé la conscience d’elle-même, elle a appelé à elle Pierre juste au moment où les fatalités de la passion allaient faire faiblir Pierre et Jeanne ; et elle est morte entre les bras de Pierre en lui demandant pardon de ne l’avoir pas, autrefois, bien compris et bien aimé. Cette mort fait, ou consomme, dans l’âme de Pierre une révolution morale. Il part, il disparaît ; personne ne sait ce qu’il est devenu.

Il est devenu « le Saint. » Dans Il Santo, Pierre Maironi et Jeanne reparaissent, Pierre Maironi sous l’habit villageois d’un jardinier de couvent ; il s’appelle Benedetto, mais pour toute la population des alentours, il s’appelle le Saint. Malgré lui, contre son gré, sa réputation de sainteté se répand par toute l’Italie ; malgré lui, contre son gré, il fait des miracles, ou la voix publique proclame qu’il en a fait ; malgré lui, contre son gré, il devient réformateur, tant qu’il se trouve un jour tête à tête et face à face avec le Souverain Pontife et, avec un singulier mélange, très bien observé, d’humilité énergiquement voulue et d’orgueil involontaire, lui fait la leçon. Persécuté par l’autorité ecclésiastique et plus encore par l’autorité civile qui n’aimera jamais les saints, c’est-à-dire les hommes qui prennent une autorité individuelle sur les foules et c’est-à-dire qui n’aimera jamais le pouvoir spirituel ; épuisé d’ailleurs par ses rigueurs ascétiques, Benedetto s’en va mourant. Jeanne l’a cherché, suivi, poursuivi, dans toute sa carrière d’apôtre, rencontré une fois, vécu dans son ombre ou plutôt dans la lumière émanant de lui, toujours. Elle le retrouve au lit de mort, le console ou plutôt le vénère et l’adore, et, elle, incroyante jusqu’alors, a le temps de lui dire : « Je crois, » avant qu’il ferme les yeux. Il meurt ayant sur la bouche le crucifix qu’a baisé Jeanne. Le mélange, certes réduit à son minimum ; mais enfin le mélange de volupté humaine et d’amour divin persiste jusqu’à la dernière page.

Cette trilogie, — Petit monde d’autrefois, Petit monde d’aujourd’hui, le Saint, — d’abord a une grandeur d’évolution, de maîtrise, aussi, des vastes sujets, qui est très intéressante ; ensuite on y saisit bien quelques-unes au moins des idées