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la famille, les mœurs. Molière s’attaque donc à l’hypocrisie religieuse. De nos jours il en aurait mis à la scène une autre forme, l’étalage de la dévotion n’étant plus un moyen de se faire bien venir des « pouvoirs publics » et de courir la carrière des honneurs et de la fortune. Au surplus, il n’aurait eu que l’embarras du choix. « Tartuffe nous remplit d’horreur, d’effroi et de dégoût, parce qu’il symbolise à nos yeux l’hypocrisie, la religieuse et toutes les autres, philosophique, scientifique, politique, sociale, humanitaire. Comme l’a très bien dit Alfred Capus, un homme riche et heureux, qui prêche la révolte sociale sans s’être préalablement dépouillé de ses biens, n’est peut-être pas un imposteur moins dangereux, que celui de Molière. A la place de : peut-être, il faut dire : certainement. Débarrassons la comédie de toute son exégèse. Tartuffe pour nous est l’hypocrite, c’est-à-dire l’homme le plus néfaste dans toutes les classes et dans tous les partis, pour sa classe et pour son parti, que ce soit un faux dévot, un mauvais prêtre, un politicien arriviste, un général antimilitariste, un débauché féministe, un patron anarchiste ou un agent de change collectiviste. »

Dans Tartuffe on a voulu voir tout notre anticléricalisme, dans les Femmes savantes tout notre féminisme, dans une seule réplique de Don Juan tout notre humanitarisme, et généralement dans le théâtre de Molière toute la Révolution française. On peut affirmer que Molière n’y avait pas pensé. Il pensait au public qu’il avait devant lui et qu’il s’agissait de divertir. Il ne faut même pas se le représenter à la manière d’un écrivain, travaillant à loisir et se servant de la forme théâtrale pour habiller ses idées philosophiques ou ses théories sociales. Voltaire, peut-être, composait ainsi ses pièces, et c’est une des raisons pourquoi elles ne sont pas celles de Molière. C’est pour être comédien, non pour être auteur comique, que Molière a abordé le théâtre. Ayant commencé par être acteur il a continué, et joint à cette profession celle de directeur de troupe. Il fait des pièces pour être jouées, pour le succès immédiat qu’on obtient en faisant rire les honnêtes gens : il s’en est fallu de peu qu’il ne les fit même pas imprimer.

Il est pressé, il prend le sujet qui est dans l’air, le ridicule qu’il a sous la main, l’original qu’il vient de rencontrer, le petit-maître ou le pédant qui se sont attaqués à lui, le notaire ou l’huissier à verge à qui il a eu affaire, le médecin qui ne l’aide pas à guérir, — la coquette qui le fait souffrir. « Il s’est joué le premier en plusieurs endroits sur des affaires de sa famille et qui regardaient ce qui se passait dans