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Tréguier. Quand arrivera le mari, encore à temps, mais tout de même un peu tard, il subira une scène de reproches des plus violentes et se verra fermer la porte au nez par sa femme : ce qui est toujours humiliant pour un mari.

Au dernier acte, Lise-Mirette a enfin lu dans son cœur et débrouillé le chaos de ses sentimens. Celui qu’elle aime, ce n’est ni Lortay et sa perversité, ni d’Aprieu et sa brutalité, c’est Tréguier. Elle l’aime, à force de l’admirer. Ne vient-il pas de la sauver tout à l’heure ? On a vu des femmes épouser leur sauveteur. Elle épousera Tréguier ou elle sera sa maîtresse, à son choix. Ah ! que nous ne sommes pas inquiets ! Tréguier n’a pas été mis là pour qu’on l’aime, en justes noces ni autrement. Ce n’est pas dans ses attributions. Il est là pour raccommoder les ménages, réconcilier les époux qui s’adorent en croyant se haïr, et leur rapporter le bonheur, — avec un peu de morale autour. Car il a un faible pour la dissertation morale, pour les conseils administrés avec un peu de pédantisme ; c’est dans sa fonction : il a été professeur, il donne des leçons. Écoutons-le tirer la morale de la pièce. Voilà donc, dira-t-il, où un snobisme détestable allait conduire ce ménage à la mode du XXe siècle ! Par un absurde respect humain, ces deux époux se sont menti l’un à l’autre et paré de défauts qu’ils n’ont pas. Ils ont affecté le goût du vice pour mieux dissimuler le penchant qui les entraîne irrésistiblement à la vertu. Fanfarons de perversité, qu’ils cessent un jeu dangereux ! Qu’ils reviennent à leur vraie nature ! Qu’ils soient eux-mêmes ! Il n’est que temps de songer à faire de bons livres et de beaux enfans…

Avouerai-je que ces péripéties m’ont médiocrement intéressé ? Une jeune femme qui est près de mal tourner, qui va jusqu’au bord de la faute, qui est ramenée par un terre-neuve, nous en avons tant vu ! je dis : au théâtre. Situation connue, prévue, que rien ne vient renouveler. Nous avons l’impression d’être en pleine convention. L’auteur l’a voulu ainsi, je le sais, et la loi du genre exige que la pièce finisse bien. Quand même, il est trop peu sévère pour le travers qu’il dénonce. Il semble y voir une parure de mauvais goût, mais légère, qu’on enlève quand on veut, comme sa voilette ou comme ses gants, et qui ne laisse pas de traces. Cela est bien difficile à admettre. Bien sûr ce n’est pas ici la débauche, et le clou qu’elle vous plante sous la mamelle gauche. C’est du moins une odeur malsaine : elle pénètre, elle s’attache. C’est une atmosphère pernicieuse : on s’en imprègne. Mauvaise préparation à une vie honnête. Mauvaise éducation du cœur et de l’esprit. Si encore ce n’était qu’une question d’éducation ;