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Berquin, des idylles après Bernardin de Saint-Pierre, des romans d’aventures après Dumas père et des romans-feuilletons après Eugène Sue. C’est aujourd’hui le roman libertin qui se vend : il s’y applique en auteur bien sage. Il y réussit très joliment. Sa mère lui sert de secrétaire, corrige ses épreuves, rectifie les fautes de typographie sinon de morale, et lit les lettres expédiées par les femmes du monde. Car il paraît que les femmes du monde écrivent aux romanciers à scandale. Je veux bien le croire. L’une d’elles, en ce moment, qui signe Mirette, poursuit André Lortay de ses déclarations épistolaires. Mme Lortay se réjouit de cette intrigue, qui est évidemment pour le mauvais motif, Mirette étant, de son aveu et à en juger par son style, une femme mariée : ce peut être la liaison sérieuse, dont une mère a tout à espérer pour son fils, et rien à craindre. Beaucoup plus dangereuse pour André serait cette Lise Bernin qui est, elle, une jeune fille, et n’aurait qu’à vouloir se faire épouser.

Lise Bernin est une jeune fille, — à la façon dont on est une jeune fille au XXe siècle. Le temps est passé des ingénues. Les demoiselles de maintenant se sont « américanisées, » comme nous disons, et comme nous avons raison de dire, car c’est d’excellent nationalisme de donner un nom étranger aux mauvaises modes de chez soi. Dans ce concours d’excentricités, Lise Bernin a trouvé le moyen de se distinguer. Comment ? Allures ? Langage ? Un trait suffira. Elle a lu les livres d’André Lortay. Et c’est en lisant ces livres qu’elle est devenue amoureuse de l’auteur. C’est tout dire.

Cette jeune personne, qui depuis trois mois entretient un flirt enragé avec le romancier de ses rêves, s’est mis en tête de le pousser dans ses derniers retranchemens, aujourd’hui même. Elle vient le voir chez lui, toute seule, comme cela se fait. Elle va ainsi nous être présentée dans une triple conversation. D’abord avec Mme Lortay. Elle est avec celle-ci très sèche, un peu hautaine, lui coupe la parole et la remet à sa place : c’est la façon de traiter, comme elles le méritent, les vieilles personnes, qu’il est d’usage maintenant de désigner sous le nom de « vieux tableaux. » Puis avec un certain Tréguier, critique universitaire, et à ce titre représentant des saines traditions et de la morale. Celui-ci aime la jeune fille, profondément, et lui demande d’être sa femme. Il choisit bien son jour ! Je reconnais dans cette démarche la gaucherie de l’homme qui vit dans les livres et ne rentre dans la vie réelle qu’avec un peu d’ahurissement. Enfin troisième conversation et scène attendue entre Lise et André Lortay. Scène charmante où nous voyons les deux jeunes gens faire la roue l’un