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Monrose, Delaunay, Madeleine Brohan, reprend à la Russie Mlle Plessy et Bressant. Qui l’eût deviné ? Cet homme doux et souriant tiendra tête à plusieurs ministres qui favorisaient des abus représentés par des amies ou des auteurs épuisés ; il se montre très résolu à ne flatter que le bon plaisir d’un seul ami : le public, offre plusieurs fois sa démission, infuse un sang vivace aux veines appauvries du vieil Eson. « Il a fait gagner beaucoup d’argent au théâtre, remarque Th. Gautier (1850), mais en dépit des saines doctrines : aussi MM. les comédiens rédigent un mémoire contre l’administration de M. Arsène Houssaye, pareils à cet apothicaire de Monsieur de Pourceaugnac, qui aime mieux être tué dans les formes que guérir d’une façon irrégulière. » Et, ajoute Pierre Malitourne, savez-vous le reproche que font aujourd’hui leurs ennemis à Houssaye et à Roqueplan ? « Il réussit trop. » Houssaye réussit pendant six ans et plus.

En 1850, il osa faire jouer Charlotte Corday : la chose n’allait pas toute seule, tant s’en faut ; le comité de lecture, les républicains avancés, le gouvernement lui-même mettaient des bâtons dans les roues, ou ne témoignaient qu’une bienveillance pleine de méfiance. La pièce passa néanmoins, et obtint un véritable triomphe. Alfred de Musset déclara en plein foyer : « Pareil langage ne s’est pas entendu depuis Corneille. » Et comme les critiques se rebellaient, il insista : « Oui, messieurs, on n’a rien fait de plus grand, vous entendez, de plus grand, je maintiens le mot. »

Que n’a-t-on pas dit, dans les deux foyers de la Comédie, sous le proconsulat élégant de Houssaye ? Lui-même a pris soin de noter plusieurs de ces belles causeries, et l’on ne saurait mieux faire que de répéter quelques traits consignés par un homme que sa situation et son esprit devaient si richement documenter.

« Au foyer du Théâtre-Français un gamin littéraire, vrai gamin de Paris, trouva du bel air de se jeter sur un canapé à côté d’une femme qui comptait trois ou quatre entr’actes dans la comédie de sa vertu. Il ne la connaissait pas du tout ; il osa lui dire à brûle-pourpoint, se croyant ferré sur le talon rouge : « Eh bien, ma belle amie, avec qui êtes-vous maintenant ? » La dame se leva de l’air le plus hautement dédaigneux : « Avec un homme fort mal élevé, monsieur. »

« Madeleine Brohan ne fut point, comme on l’a prétendu, la reine de la Comédie-Française pendant vingt-cinq ans, mais