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revient le lendemain, les jours suivans, et la reine Marie-Amélie le remercie avec émotion d’avoir rendu le rire et l’appétit pendant toute une semaine à son mari.

Un instantané du foyer, le 12 juillet 1845, dans le Journal d’Edmond Got : « Là, tous les soirs, se réunissent, avec les personnages de la pièce qu’on joue, Harpagon, Dorine ou Scapin, quelques habitués qui fréquentent les coulisses, des amis ou des auteurs : Emile Augier, Decourcelle, Desnoyers, Latour… Quatre ou cinq sont dans un coin autour d’un jeu de trictrac. Les autres, çà et là, en costume de velours et de satin, causent avec de simples mortels crottés du Palais-Royal et de la rue Vivienne. On s’entretient de l’événement du jour, des chemins de fer ou des sources du Nil. L’Algérie, surtout, occupe dans le discours une place fort distinguée. — Ah ! vieux Molière, et vous, Préville, Molé, Fleury, si quelque jour vous descendiez de vos toiles dans ce foyer si bien doré, ne seriez-vous pas un peu surpris de ce que vos successeurs y font maintenant ? Vous qui portiez l’épée et la boucle à l’œil, ne conserviez-vous pas parmi vous vos façons galantes et vos airs de gentilhomme ?… Vous couchiez-vous donc aussi sur les banquettes, assis sur le dos et la jambe dans les mains ? Donniez-vous donc si haut et si ferme votre avis sur tout ? Parliez-vous aux femmes presque le chapeau sur la tête ?… Dites, mes vieux maîtres, Voltaire et Marmontel sentaient-ils la pipe culottée, Carle Vernet était-il aussi sans gêne que M. Ravergie, et Lekain jurait-il des « nom de Dieu ? » Ce soir, à ce même foyer, on racontait avec stupéfaction la fuite de Mlle Plessy à Saint-Pétersbourg… »

Got était lettré, bon observateur, un peu paysan du Danube, d’une nature morale élevée, travailleur acharné, non moins consciencieux dans son répertoire que dans sa vie privée : aussi, après les années de noviciat, après avoir fait partie de ce qu’on appelait la troupe de fer-blanc, les doubles, parvint-il assez rapidement au sociétariat et au rang de chef d’emploi. On a dit que son art sobre, concentré, rappelle les maîtres flamands les plus parfaits, les maîtres français de l’école de Chardin, et c’est exact. Il eut pour amis Emile Augier, Léon Laya, Mallefille, E. Pailleron, Léon Gérôme, Edmond About. Son Journal, qui va de 1841 à 1893, abonde en détails sur le Conservatoire, la Comédie, les camarades, directeurs, auteurs, les coulisses et le public.