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invention, son imagination, sa prodigieuse habileté, cet art de jeter sur la scène tout le mouvement de la vie réelle, d’amuser et d’émouvoir le public, tous les publics, ceux de la Comédie et du Vaudeville, du Gymnase et de l’Opéra. On faisait cercle autour de lui, sa causerie apprenait toujours quelque chose aux commençans, même aux vieux routiers ; savoir écouter ce grand charpentier dramatique, mettait sur le chemin des sujets de pièces, et, qui sait ? pouvait conduire à une collaboration précieuse entre toutes. Quelle leçon de persévérance dans ce ressouvenir pénible des débuts ! « Savez-vous par où j’ai commencé ? Par quatorze chutes ! Oui ! quatorze ! C’était bien mérité. Oh ! mes amis ! Quelles galettes ! Pourtant je réclame pour une. Elle a été trop sifflée. Elle n’était pas si mauvaise que les autres. Vrai, c’était injuste. Vous riez, et moi aussi. Mais je ne riais pas dans ce temps-là. Après chaque chute, nous nous en allions, Germain et moi, tout le long du boulevard, désespérés, furieux, et je lui disais : Quel métier ! C’est fini. J’y renonce. Après les quatre ou cinq plans que nous avons encore, je n’en fais plus ! »

Et (j’anticipe un peu) la visite de Scribe à Claremont en 1850 ! Louis-Philippe goûtait son talent, et bien qu’il ait, dans un accès d’impartialité littéraire, nommé Victor Hugo pair de France, je gagerais qu’il dut sourire en apprenant qu’à la première représentation d’Hernani, Scribe osa rire aux éclats ouvertement. « Savez-vous, monsieur Scribe, dit le Roi, que j’ai l’honneur d’être votre confrère ! — Vous, Sire ? — Oui vraiment. Vous venez à Londres pour un opéra ; eh bien, moi aussi, j’ai fait un opéra dans ma jeunesse, et je vous jure qu’il n’était pas mal. — Je le crois, Sire, vous avez fait des choses plus difficiles. — Plus difficiles pour vous peut-être, mais pour moi, non ! J’avais pris pour sujet les Cavaliers et les Têtes rondes. — Beau sujet ! — Voulez-vous que je vous le raconte ? Le hasard m’a fait retrouver ces jours-ci mon manuscrit. Je serais curieux d’avoir votre sentiment. — Je suis à vos ordres, Sire. » Louis-Philippe explique son premier acte, l’auteur écoute d’abord en silence, mais, le naturel d’auteur dramatique reprenant le dessus, Scribe oublie la personne royale, fait des objections, taille, rogne, ajoute, si bien que les rôles sont intervertis, et les voilà tous deux qui reconstruisent la pièce. Cependant l’heure du départ sonne, on attend Scribe à Londres, le Roi lui fait promettre de revenir déjeuner le lendemain pour terminer ; Scribe