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éclair, fait ruisseler une cascade de traits brillans. C’est là, sans doute, que les sols sont le mieux bafoués, que l’esprit est roi, que les prétentions ridicules se voient rabrouées sans pitié ; là encore que le flirt, la coquetterie et leurs variétés s’épanouissent avec des séductions infinies, préparant les capitulations rapides où le victorieux est parfois le conquis ; là enfin que beaucoup d’énigmes deviennent des secrets de Polichinelle, car on y habille et déshabille le prochain plus que la morale et la charité ne le permettent, en oubliant qu’on ne saurait trop s’occuper des choses et trop peu des personnes.

Il n’est donc pas inutile de butiner à travers les innombrables ouvrages où s’agitent les questions de théâtre, toujours à la mode en France. D’ailleurs, beaucoup de nos contemporains sont des dictionnaires vivans : ils ont fréquenté ces fameux foyers, ces coulisses et loges d’acteurs qui en forment le prolongement, et leur esprit fournit une ample moisson d’anecdotes qu’ils égrènent volontiers, quand on les interroge avec discrétion, et qu’on sait les écouter. Ainsi se dressent, dans ma mémoire, des histoires charmantes, des mots-médailles presque ignorés ; ils ont cependant amusé une compagnie d’élite pendant quelques instans ; et c’est beaucoup à Paris de plaire une heure, ou même cinq minutes. Que n’ai-je, chaque jour, depuis trente ans, noté les conversations ou plutôt les monologues de tant d’hommes célèbres rencontrés sur ma route ! Mais, à Paris, le travail présent dévore les heures qu’il faudrait consacrer au travail de l’avenir ; on se fie à sa mémoire, et, plus tard, hélas ! on s’aperçoit qu’elle laisse passer, comme un crible, beaucoup de bon grain, une foule de détails qui s’embrument dans le passé, et qu’il devient impossible d’évoquer avec précision.

La plupart des théâtres un peu importans ont leurs foyers d’artistes : selon les temps, le succès, les hôtes et les visiteurs, ces foyers traversent des périodes d’engouement ou d’abandon. Le plus célèbre, assurément, est celui de cette Comédie-Française. Ce foyer est le plus ancien, le mieux habité, le seul qui reflète plusieurs siècles d’histoire théâtrale et artistique : il regorge de portraits, de bustes, d’autographes précieux, tant et si bien qu’on ne peut plus loger les nouvelles acquisitions, qu’on est obligé de les reléguer un peu partout, et qu’il faudra bientôt, si cela continue, créer un musée de la Comédie-Française. Encore, si les nouveaux venus trouvaient place au Foyer de