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12 REVUE DES DEUX MONDES. Le général tartare. — Des vivans, non... Mais des spectres, c’est vrai, oui, j’ai peur des spectres... (Ils entrent ensemble sous la tente. La foule, dont la rumenr va crois- sant, s’écarte de la place des exécutions, laissant voir les corps sans tête qui gisent à terre, et les mares de sang. Les marchands reprennent leurs cris et leurs musiques.) Le marchand de fleurs. — Pivoines royales, lotus variés, toutes les fleurs de la saison! Le général tartare, dans la tente, à Prince-Fidèle. — Vous le voyez, je me compromets, comme le héros de votre légende, et cependant on ne m’élèvera point de temple. Prince-Fidèle. — Mais vous n’espérez pas les sauver, ceux des miens qui restent encore?... Le général tartare. — Qui sait!... Tant que les têtes ne sont pas détachées des épaules... Vous entendez dehors: le flot du peuple irrité grossit toujours... Souvent une courte émeute a délivré bien des victimes... Je puis être débordé, avoir la main forcée : le ciel le veuille!... Prince-Fidèle. — Votre noble générosité m’encourage à vous demander une grâce. Le général tartare. — Ce sera une joie pour moi de l’accorder- Prince-Fidèle. — Avant de m’agenouiller là-bas, contre la muraille sanglante, je souhaiterais obtenir une heure de liberté, sur ma parole... Le général tartare. — La parole d’un homme tel que vous est plus solide qu’une chaîne de fer à ses jambes ou qu’une cangue de bois de cèdre à ses épaules... Une heure, oui, même une heure et demie, nous pouvons attendre... L’emploi que vous voulez en faire, peut-être le deviné-je : c’est la grande captive, n’est-ce pas, que vous rêvez de revoir... Là, je ne puis, hélas! en rien vous servir... Les Dieux vous viennent en aide!... (Présentant une robe brodée d’or qui est accrochée au mât de la tente.) Une seule chose : consentez à revêtir une de mes robes; elle vous sera toujours une sauvegarde. Prince-Fidèle. — Comment oserais-je?... Le général tartare. — Je vous en prie... Ce vêtement me deviendra précieux au contraire, pour vous avoir protégé. (Il passe la robe à Prince-Fidèle, qui ne résiste plus, et puis il sou- lève u)ie portière au fond de la tente.) Par là, Prince, fuyez!... (Exif Prince-Fidèle.)