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nouveau qui m’inquiéta grandement dans ma pudeur jusqu’alors intacte et qui, tout en éveillant en moi l’appétit des sens, détruisit l’estime que j’avais accordée jusque-là à mon amie comme à un être d’exception. »

En 1780, Gambs accepte une situation de précepteur qui rend beaucoup plus rares ses visites à Sesenheim et l’image de Frédérique qui, dit-il, n’avait plus à ses yeux dès lors une auréole de pureté virginale, passe peu à peu à l’arrière-plan de sa pensée : « Oh ! certes, soupire-t-il alors, une jeune fille perd tout son charme quand elle pèche le moins du monde contre les convenances au regard de son amoureux. Elle croit par là le fixer plus sûrement peut-être, lui imposer la constance en faisant appel à ses appétits voluptueux. Elle n’obtient que l’effet contraire. — Tu n’es donc pas un être pur, songe alors le jeune homme désabusé ? Qui sait ce que tu as déjà donné à d’autres avant moi ? Eh bien ! je profiterai de ce qui m’est offert, quand même je ne serais pas le premier à en bénéficier. Dans le cas où je viendrais ensuite à te perdre, bien d’autres seront capables de tenir près de moi ta place. »

La rupture ne pouvait se faire longtemps attendre après des malentendus de ce genre. Un magistrat municipal de Strasbourg auprès de qui Gambs remplissait les fonctions de secrétaire fit remarquer un jour en sa présence que les jeunes théologiens protestans tombaient le plus souvent dans les rets de quelque fille mûre qui, après avoir commenté de bonne heure l’Art d’aimer du poète Ovide avec des officiers, des médecins ou des juristes, essayait enfin ses derniers artifices sur un candidat pasteur. En effet, habitué par état à la retenue la plus sévère et néanmoins désireux de connaître les douceurs de l’amour, un tel blanc-blec se laisse duper sans peine à l’ordinaire et tient les avances de la délaissée pour les témoignages d’une irrésistible passion. « Oh ! s’écrie Gambs après ce préambule, combien mon cœur s’enflammait de colère à chaque mot de ce discours qui ne s’adressait nullement à moi cependant ! N’était-ce pas là toute mon aventure ? N’avais-je pas été attiré, amorcé de la sorte ? Rentrer dans ma chambre, m’asseoir devant ma table et écrire à Frédérique une lettre de congé dans toutes les formes, ce fut pour moi l’affaire d’un instant. Depuis cette époque, je ne me laissai jamais entraîner dans aucune amourette jusqu’au jour où je fus un homme mûr, pourvu d’une situation