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sur cet incident, puisque, dès 1859, quelques gœthéens enthousiastes songèrent à élever, dans le voisinage du presbytère de Sesenheim, un monument à Frédérique considérée comme l’héroïne de cette fidélité jalouse qui sied au souvenir d’un amour glorieux. Ce projet n’aboutit toutefois que vingt ans plus tard après l’annexion de l’Alsace à l’Empire allemand. Un médaillon commémoratif fut alors inauguré aux applaudissemens de l’Allemagne lettrée, non sans soulever çà et là quelques discrètes protestations. On assure qu’Edmond Scherer, le pénétrant critique des Mélanges d’histoire religieuse, appréciait à peu près en ces termes la manifestation dont nous venons de parler : « L’emballement des professeurs d’outre-Rhin nous amuse infiniment, nous autres Alsaciens, édifiés que nous sommes par toute une génération de témoins dignes de foi. L’enfant de Frédérique avec le prêtre a été inscrit à l’état civil de Strasbourg et bien connu de toute la ville. Peut-être retrouvera-t-on quelque jour aussi la trace du petit Gœthe. Beaucoup de gens se taisent là-dessus par patriotisme local : la famille nie tout pour ne pas se faire tort, mais mon collègue Nefftzer (l’ancien directeur du Temps) le savait aussi bien que moi ! Non, non, Frédérique ne fut jamais un dragon de vertu ! Tout cela ne manquera pas d’éclater enfin au grand jour et nous allons rire ! »

Douze années se passèrent toutefois avant que les détracteurs de Frédérique eussent en effet quelque sujet de rire, si tant est que ce litige prête à l’hilarité de la galerie. — En 1892, un professeur allemand du nom de Froitzheim, déjà connu par des travaux consciencieux sur quelques épisodes du séjour strasbourgeois de Gœthe, publia un petit volume[1], qui n’est qu’un violent réquisitoire contre le grand homme et son humble amie. Non seulement Froitzheim reproduisait, pour les commenter au détriment de ses victimes, les divers témoignages que nous avons signalés déjà, mais il prétendait apporter deux charges nouvelles contre la fille du pasteur Brion.

Et tout d’abord, il croyait avoir enfin retrouvé l’acte de naissance de ce fils de Frédérique, pâtissier de son état, dont Naeke et Scherer nous ont parlé tour à tour. En feuilletant patiemment les registres poudreux d’un orphelinat voisin de Strasbourg,

  1. Friederike von Sesenheim, Gotha, Perthes, 1892.