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son fils Fritz (l’ancien pupille de Goethe), sa belle-sœur est morte pendant que nous étions chez lui. Mais il se fait cacher tous les cas de mort dans sa maison et au dehors jusqu’à ce qu’il les découvre peu à peu, sans secousse. » Et encore, vingt années plus tard : « Sur le pont nous passâmes à côté d’une voiture dans laquelle le Lama de Weimar se prélassait près de sa belle-fille qui a fait récemment une terrible chute de cheval. Elle fut si contusionnée et défigurée que sa bouche dut être recousue plusieurs fois. Ses amis et relations ont veillé tour à tour près de son chevet ; mais le Lama, pour s’éviter toute impression désagréable, lui fit dire qu’il ne voulait la revoir qu’entièrement remise et qu’elle devrait porter ce jour-là la robe qu’elle avait la dernière fois qu’il la vit avant l’accident ! »

Eh bien ! si la plus proche alliée de Gœthe et le bâton de sa vieillesse, si la charmante Ottilie devait se résigner à subir un semblable traitement, quelles marques d’intérêt ou même d’attention pouvait espérer la pauvre Frédérique morte depuis dix ans en 1822 et, de plus, écartée depuis un demi-siècle du chemin glorieux du Lama ? — A notre avis, l’Olympien lut avec attention les propos de Naeke et du pasteur, mais il ne prit même pas le souci de les discuter dans son for intérieur. Que lui importait après tout le destin de la pauvre fille après leur séparation ? Il n’en voulut rien savoir. L’image sortie de son pinceau génial se reflète immortelle dans la pensée de ses fervens, et c’est là tout ce qui importe au vieillard gâté par les adulations d’un peuple tout entier. La page fameuse sur les réflexions réitérées ne prouve donc rien contre la mémoire de Frédérique. Elle établit seulement, avec beaucoup d’autres issues de la même source, l’extrême vulnérabilité nerveuse qui devait se cacher plus que jamais à la fin de sa vie sous les dehors majestueux de Werther guéri de son inquiétude maladive, mais encore obligé à tant de ménagemens mesquins pour sauvegarder son fragile équilibre affectif.


VII

La publication du récit de Naeke en 1840 suscita de vives polémiques dans les colonnes de la presse allemande. On prit dès lors position pour ou contre la culpabilité de Gœthe, pour ou contre la vertu de Frédérique. Mais le silence se fit bientôt