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dont on vient réclamer la gratuite hospitalité. Pourtant les parens Brion se montrent dès le premier jour si cordialement accueillans, Frédérique en particulier se fait si gentiment avenante à l’égard du piètre personnage dont Wolfgang a revêtu l’apparence, qu’il se livre le lendemain matin, lors de son réveil, à quelques pénibles réflexions sur sa légèreté. En outre, sa vanité de beau garçon, émue par le premier éveil d’un tendre sentiment dans son cœur, se révolte devant la perspective de s’offrir plus longtemps sous un aspect caricatural aux regards de son aimable hôtesse. Il s’enfuit donc à l’aurore, sans prendre congé de personne, ajoutant de la sorte une seconde inconvenance à la première.

Mais à peine a-t-il pris le chemin de Strasbourg qu’il commence à regretter la douce compagnie de Frédérique. L’inspiration lui vient alors de se faire pardonner sa première supercherie en la complétant par une seconde du même genre. Il emprunte, moyennant finances, les habits d’un garçon d’auberge du voisinage qui se disposait justement à porter un gâteau au presbytère de Sesenheim et il reparaît bientôt chez les Brion sous des vêtemens rustiques, mais seyans et qui, cette fois, mettent bien en valeur son agréable tournure. Le chapeau enfoncé sur les yeux, il n’est reconnu que lentement et successivement par tous les membres de la famille, chacun d’eux se faisant de bon cœur son complice pour l’aider à duper les autres. La sœur de Frédérique, Sophie, va même jusqu’à se rouler sur l’herbe en se tenant les côtes quand elle a découvert à son tour le secret du pseudo-paysan. Gaîtés franches et saines, bien qu’un peu lourdes peut-être dans leur expression comme dans leur source. Il faut l’avouer, tout ce début de l’idylle fameuse reste d’une digestion laborieuse pour nos estomacs français habitués à de moins compactes nourritures, et le Genevois Jean-Jacques avait lui-même le pas plus alerte près de mesdemoiselles de Graffenried et Galley. Au surplus, l’authenticité de l’anecdote est des plus suspectes, dit-on : mais on peut supposer que Gœthe a transporté au début de son aventure quelques facéties qu’il trouva l’occasion d’y intercaler en toute réalité par la suite lorsqu’elles eurent du moins l’excuse d’une intimité déjà solidement établie. La faute de goût est de n’avoir pas senti cette dissonance qui fait tort à l’agrément de son récit.

Ses Mémoires nous renseignent ensuite, avec moins de