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l’adversaire. Quelle peut être l’action directe de sa flotte ? Ceux qui font tout reposer sur la première bataille en Lorraine, doivent pourtant considérer qu’une escadre allemande maîtresse de la mer serait à même d’intercepter à l’heure opportune le rapatriement de nos troupes d’Afrique. D’ailleurs, notre état politique ne nous permettra sans doute pas de tirer l’épée les premiers. Notre République répugne à toute idée d’agression. Notre constitution nous oblige à ne déclarer la guerre qu’après un vote du Parlement, c’est-à-dire avec des délais et une publicité qui nous empêcheront de prendre les devans. Il faut donc envisager le cas où, avant toute bataille navale, une escadre allemande, ayant d’avance franchi nos défenses du Pas-de-Calais, et supérieure à nos forces méditerranéennes, viendrait croiser sur la route des convois destinés, dans les premiers jours de la mobilisation, à ramener en France les contingens du 19e corps, les troupes algériennes ou même noires stationnant en Afrique, et tous les effectifs que longtemps encore peut-être nous entretiendrons au Maroc. Si nous avions commis la faute de ne pas grouper à temps nos forces navales de première ligne, soit actives, soit de réserve, l’amiral allemand, maître de s’interposer entre leurs fractions, jouirait, momentanément tout au moins, d’un important avantage de position.

A moins d’une grande supériorité maritime, une pareille opération peut sembler aventureuse ; elle le serait déjà moins, si l’escadre allemande avait accès dans les ports d’un allié méditerranéen. Mais l’Allemagne aurait autre chose à tenter, moins loin de sa base. De cette autre entreprise la crainte est si peu chimérique que notre dernier ministre de la Marine, l’amiral de Lapeyrère, n’a pas hésité à en évoquer la possibilité à la tribune du Sénat dans les termes suivans : « M. d’Estournelles ne croit pas au danger des débarquemens. Je ne partage pas son avis. Un débarquement est une entreprise difficile, soit ; surtout si on ne l’a pas suffisamment préparé. Mais j’affirme qu’un débarquement sur les côtes de France est possible, et qu’en vingt-quatre heures on pourrait mettre une division à terre. Il faut, bien entendu, choisir convenablement l’heure et le lieu. Mais, sous cette réserve, le péril est certain. Et bien malavisé serait celui qui compterait sur des moyens militaires exclusivement terrestres pour y faire échec. »

Il s’agit, on le voit, d’un débarquement en force sur nos