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Amet : « Il n’y a pas, dit-il, de traité ou de cours de stratégie où je n’aie trouvé la démonstration que la guerre ne consiste pas en une chose unique et sans durée ; où je n’aie vu prouver que le développement nécessaire de la victoire, c’est-à-dire les poursuites du vaincu jusqu’à son écrasement complet, ne peut être longtemps ni continuellement soutenu ; qu’il atteint bientôt un point limite au-delà duquel l’équilibre des forces étant rétabli entre les deux adversaires, la lutte se présente à chances égales entre eux ; et que par conséquent, à moins d’avoir affaire à un adversaire sans patriotisme, sans souci de son indépendance, le règlement d’un conflit exige une série de victoires et non pas une seule. »

Plus s’allonge en effet la ligne de communications d’un envahisseur, plus il perd de sa puissance à se maintenir sur un sol ennemi, loin de sa base nationale d’où il doit tirer la plupart de ses ressources. L’histoire est pleine de ces revanches des vaincus d’un jour reconquérant leur patrie. Si nous doutons facilement de notre propre ressort, le cas échéant, supposons à l’inverse une victoire initiale de nos armées : aurons-nous rompu tous les obstacles ? cela suffira-t-il pour abattre notre adversaire et parcourrons-nous sans nouvel assaut les 700 kilomètres qui séparent la Moselle de Berlin ? Personne ne le croira.

L’intérêt de la question, indiscutable dans le cas même d’un duel franco-allemand, paraîtra bien plus évident encore la France ayant la Russie pour alliée. Alors tout dépendra de la durée de notre résistance au premier choc. Si nous ne sommes pas réduits à l’impuissance avant que l’immense empire moscovite ait pu terminer sa mobilisation, nous aurons le nombre pour nous et nos chances de succès seront doublées.

Mais quand le temps intervient de la sorte, bien d’autres élémens, qui ne sont plus purement militaires, prennent de l’importance, et vont mériter attention. Les peuples modernes sont de formidables transformateurs industriels, de gigantesques consommateurs. Ils ont besoin de puiser sans cesse au dehors des alimens et des matières premières, en masses considérables, et d’y verser continuellement les produits transformés par leur travail.

Leur activité économique est une force toujours en mouvement, qui a besoin de trouver issue : on peut les comparer à des chaudières énormes toujours prêtes à faire explosion, si