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Sous la menace d’une invasion, l’Angleterre, en particulier, n’aurait-elle pas trop à couvrir ses propres ports et à conserver coûte que coûte la maîtrise de la mer du Nord, pour s’engager à fond dans la protection de nos côtes, sur l’Atlantique par exemple ?

Les alliances actuelles nous garantissent d’un péril immédiat : il n’est pas dit qu’elles rendent impossible, à la faveur de circonstances qu’on ne saurait ni prévoir ni prévenir, le combat singulier des deux nations voisines, sons les regards de l’Europe prête à mobiliser. Comment donc affirmer que la France ne se trouvera pas un jour à supporter seule, fût-ce passagèrement, la pression des forces allemandes ? Il y a là une hypothèse que la disproportion des puissances navales nous oblige à envisager, un péril fondamental et permanent contre lequel la prudence la plus élémentaire doit nous tenir armés.

Dans ce duel, que perdrions-nous en perdant la maîtrise de la mer ? Tel est le point qu’il faut élucider pour savoir si la puissance sur mer constitue pour nous une nécessité vitale, à quel degré et pourquoi ?


II

Ce qui détermine là-dessus l’opinion commune, c’est d’abord et instinctivement la comparaison avec l’armée de terre, c’est ensuite le souvenir de 1870, c’est enfin l’idée courante qu’on se fait d’une guerre future. Regardons en face ces trois objections. Sans aucun doute notre premier besoin vital est celui d’une puissante armée de terre, proportionnée à celles qui nous menacent et aux convoitises que nous pouvons éveiller. A cet égard, le raisonnement instinctif de la foule a raison ; et s’il fallait choisir entre l’armée et la marine, si tout ce que nous donnons à la mer venait réellement en diminution de notre puissance terrestre, il serait criminel de réclamer une marine. Mais pourquoi raisonner sur des suppositions notoirement contraires à la réalité ? En fait, il n’y a pas à choisir : bien loin de se nuire, les deux espèces de force militaire, à condition d’être équilibrées, se servent mutuellement. Sans qu’il soit besoin de le démontrer par le détail, il est facile de faire comprendre que l’effectif de l’armée de terre a ses limites, dépendant non pas seulement du nombre d’hommes valides