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peut-être plus d’apparence que de réalité. Ce qui est vrai toutefois, c’est que l’Allemagne est restée fidèle aux traditions inaugurées par Bismarck et qu’elle continue de préférer l’Autriche à la Russie. Il y a dans cette situation quelque chose de permanent que des incidens provisoires peuvent obscurcir, mais non pas supprimer. Dès lors les causes qui ont fait l’alliance franco-russe n’ont-elles rien perdu de leur valeur, et c’est pourquoi l’alliance dure et durera sans doute encore longtemps. Ce qui a manqué parfois, non pas à l’alliance, mais à la pratique de l’alliance, M. Ribot l’a dit avec justesse. Lorsque deux pays contractent un pacte de ce genre, ils prennent l’engagement, — et, en fait, la Russie et la France l’ont pris, — de mettre d’accord leurs politiques lorsqu’elles toucheraient à des intérêts généraux. L’a-t-on fait avec assez d’attention, de continuité, de persévérance ? Il semble bien qu’il y ait eu quelque laisser aller. On n’a pas toujours causé assez tôt pour prévoir ; lorsqu’on l’a fait, il était quelquefois trop tard pour tout réparer. Ce sont là des habitudes fâcheuses, sur lesquelles il faut revenir. Des inconvéniens en sont nés ; mais c’est les grossir démesurément que d’en tirer les conséquences qu’en a tirées M. de Lamarzelle. A qui fera-t-on croire qu’une question comme celle des chemins de fer d’Asie Mineure ait amené la Russie à renoncer brusquement à ses alliances et à ses amitiés, et surtout à contracter une alliance avec l’Allemagne contre l’Angleterre ? L’Angleterre la première n’en croit rien, et sir Ed. Grey s’est même réjoui de l’entente qui s’est produite entre la Russie et l’Allemagne pour le règlement de leurs intérêts communs. Il ne faut pas être plus royaliste que le Roi, a dit M. Ribot à M. de Lamarzelle : ne soyez pas plus Anglais que les Anglais. Il est vrai que M. de Lamarzelle ne fait pas plus de cas de sir Ed. Grey que de M. Pichon ou de M. Cruppi.

Pour ce qui est du caractère de l’alliance, sans doute il est défensif ; personne, dans l’état du monde, ne pourrait faire une alliance agressive. On n’en fait d’ailleurs qu’à la veille de la guerre, et, ni la Russie, ni nous, n’avons jamais voulu la guerre. Mais il est évident, et il suffit de réfléchir un moment pour le comprendre, que dans le traité d’alliance, c’est la guerre qui est prévue, et non pas la paix. Si la guerre éclate par la faute d’autrui, si nous sommes amenés à nous y engager, il est absurde de croire que le traité ait pu consacrer le statu quo antérieur. « Rien n’est moins vrai, a déclaré M. Ribot, je dirais volontiers : rien n’est plus faux. Lorsque deux grands pays font une alliance d’une longue durée, ils lient leurs politiques non pas