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encore complètement connu, mais ce qu’on en sait permet de dire que la Russie s’est éloignée et même détachée de nous pour se rapprocher de l’Allemagne et qu’elle a formé avec celle-ci une alliance contre l’Angleterre. Cette alliance a été cimenté par un arrangement relatif aux chemins de fer d’Asie Mineure cl de Perse dans lequel les intérêts de l’Angleterre sur le golfe Persique ont été abandonnés, sacrifiés, livrés en gage : la puissance britannique en a éprouvé un coup funeste dont elle aura de la peine à se relever. Probablement même elle ne s’en relèvera pas, car MM. Gaudin de Villaine et de Lamarzelle ne font pas plus de cas du gouvernement actuel de l’Angleterre que du nôtre : ils le jugent très au-dessous de sa tâche, oublieux des vieilles traditions et serviteur insuffisant des intérêts britanniques : s’il était républicain, il ne ferait pas pis. Il y a eu des momens où MM. Gaudin de Villaine et de Lamarzelle avaient l’air d’interpeller avec indignation sir Ed. Grey plutôt que M. Cruppi. En regard de cet abaissement de la Triple Entente, ils ont dressé la Triple Alliance avec la force et l’éclat nouveaux que lui a donnés, au grand profit de l’Allemagne, la victoire qu’elle a remportée dans le règlement de l’affaire de l’Herzégovine et de la Bosnie. A plusieurs reprises les interpellateurs ont montré l’Allemagne jetant fièrement son épée dans la balance et résolvant toutes les questions par ce procédé sommaire, mais toujours efficace, au point que, dans l’Europe d’aujourd’hui, on n’aperçoit plus que la Triple Alliance triomphante sur les ruines de la Triple Entente disloquée et humiliée.

Tout cela est-il vrai ? Dans ce cas, nous avons été nous-mêmes des critiques bien aveugles, car nous en avons dit peu de chose à nos lecteurs. Sans doute il y a des ombres dans la situation actuelle ; des fautes ont été commises, des négligences surtout qui ont eu quelquefois les mêmes conséquences que des fautes, et les liens de la Triple Entente ont besoin d’être resserrés ; mais il s’en faut de beaucoup que nous soyons tombés au niveau que MM. Gaudin de Villaine et de Lamarzelle ont prétendu. M. Ribot l’a dit au Sénat, non seulement avec son talent habituel, mais avec l’autorité particulière qu’il tirait de son passé. C’est lui, en effet, comme ministre des Affaires étrangères, et M. de Freycinet comme ministre de la Guerre et président du Conseil, qui ont eu l’honneur de faire l’alliance russe et qui en conserveront le mérite dans l’histoire. Ils l’ont faite simplement, sans bruit, sans démonstrations inutiles, — les démonstrations ne sont venues qu’ensuite, — uniquement soucieux des grands intérêts dont ils avaient la charge, ceux de la France entière et non pas d’un parti.