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les nations qui la suppriment, on n’entrevoit aucune raison sérieuse qui puisse produire la rupture de la paix. Un traité d’arbitrage sans restriction ne scelle qu’un état de choses existant déjà de facto : si les rapports entre les deux nations venaient à se modifier, le traité s’enflammerait comme de l’amadou. On ne peut pas biffer l’ultimo ratio de la vie d’une nation ; on ne peut qu’essayer d’en retarder la date le plus possible. Certainement les traités d’arbitrage peuvent contribuer, pour une large part, au maintien et à la consolidation des rapports pacifiques, mais la force fait partie de la préparation à la paix. Le vieux dicton que le faible est la proie du plus fort conserve toute sa valeur. Si une nation ne veut plus ou ne peut plus consacrer à son armée autant qu’elle doit le faire pour garder son influence dans le monde, elle passe immédiatement au second rang. » On ne saurait mieux dire, ni plus fortement, et il faut souhaiter que ces paroles, que nous avons tenu à citer textuellement, servent de leçon à nos pacifistes. Cette leçon leur est donnée par le représentant d’un gouvernement qui se dit volontiers le plus puissant de l’Europe et du monde, ce qui n’en diminue pas l’autorité. Oui, M. de Bethmann-Hollweg a raison, les peuples sont, relativement les uns aux autres, dans la juste proportion que leur donne leur force réelle, constatée et reconnue. Le jour où cette force diminue, ils diminuent eux-mêmes, et un autre, plus fort, prend aussitôt la place qu’ils laissent vacante. C’est là une dynamique fatale ; l’histoire nous montre que les lois en sont appliquées avec la même régularité que celles de la mécanique. Aussi, reprenant l’expression de M. de Bethmann-Hollweg, nous dirons à notre tour que cet état de choses durera aussi longtemps que les hommes seront des hommes et les États des États : il n’est pas près de prendre fin.


Le discours de M. de Bethmann-Hollweg a été plus souvent cité et invoqué dans les récens débats que nous avons eus nous-mêmes, soit sur l’augmentation de notre force navale, soit sur la politique étrangère et sur la situation générale de l’Europe, que ne l’a été celui de sir Ed. Grey, ce qui donne à croire qu’on lui a trouvé un caractère plus pratique. L’avertissement qu’il contient a paru utile à recueillir, à méditer, et ceux mêmes qui n’en approuvaient pas l’esprit ont bien été obligés de considérer l’état d’âme qu’il manifeste comme un fait avec lequel il fallait compter. Il a servi à abréger chez nous certaines discussions, en forçant tout le monde ou presque tout le monde à reconnaître que le jour du désarmement n’était pas encore venu ;