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l’un des sommets du chef-d’œuvre. Avec ses rythmes pointés et rudes, ses mélodies en quelque sorte verticales, la musique ici dresse la croix, et si haute, que le monde est dominé par elle. Tout, en ces pages ultra-pathétiques, tout, c’est-à-dire instrumens et voix, harmonies et timbres, syncopes, dissonances, appoggiatures, tout se froisse et se heurte, se disloque et se déchire. Il semble que la musique ressente et veuille imiter le désordre matériel et cosmique de la dernière heure. Si vive, si profonde est ici l’impression de la souffrance, que le mot, le cri : « Passus ! Il a souffert ! » est celui qui retentit et revient le plus. Et même après qu’il a cessé, laissant la place aux paroles suivantes : « Et sepultus est, » il reprend, il éclate une dernière fois, plus que jamais atroce, comme si le cadavre, enseveli, n’était pas encore insensible, et que l’horreur de la passion pût troubler jusqu’au repos de la mort.

La messe et l’adoration, cette dernière et profonde conformité n’a point échappé non plus au génie de Beethoven. L’adoration, « que les théologiens placent au sommet de l’amour, en est l’acte le plus complet, le plus pur, le plus parfait… Elle est un anéantissement de nous-mêmes devant Dieu[1]. » Relisez dans ce sentiment-là telle psalmodie, sur une seule note et murmurée tout bas, de l’Incarnatus ou du Sanctus : ailleurs, au début surtout, le solo de violon suraigu du Benedictus. Alors il vous semblera que la musique aussi, pour mieux adorer, tâche de s’anéantir, se réduisant, d’une part, à la simplicité la plus élémentaire de la forme sonore, et, de l’autre, a l’extrême ténuité des sons. Alors vous trouverez dans le chef-d’œuvre de Beethoven cette foi parfaite, intégrale, dont son esprit, il est vrai, ne lit qu’approcher, et, vous souvenant que « messe » veut dire envoi, ou message, vous tiendrez la Messe en pour l’un des plus sublimes que jamais le génie de l’homme ait adressés à Dieu.


Camille Bellaigue.
  1. Abbé de Gibergues, op. cit.