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très bien : « Dans le développement de ce thème élémentaire, formé d’une simple descente chromatique, Liszt épuise toutes les nuances de la tristesse, depuis la rêveuse mélancolie jusqu’aux inquiétudes les plus sombres et au désespoir le plus véhément. Une halte de silence vient un instant interrompre cette tragique méditation, qui reprend bientôt, de plus en plus violente dans les cris de son angoisse ; mais lorsqu’elle semble atteindre au comble de la douleur, une mélodie infraiment pure vient ramener le calme, la sérénité, la certitude : c’est le choral sur les paroles : Was Gott thut, das ist wohlgethan (Ce que Dieu fait est bien fait). Les variations forment donc un véritable drame de la conscience chrétienne, assaillie par la peine ou le remords, guérie par la parole divine. Liszt n’a rien écrit de plus éloquent, de plus ferme et de plus doux. » Surtout il n’a rien écrit, en même temps que de plus varié, de plus un, et par là de plus symphonique. Quelques notes qui descendent chromatiquement font tout le sujet, toute la matière de l’ouvrage. C’est d’elles seules que le chromatisme se communique à l’organisme sonore et l’envahit tout entier. Il y règne et s’y manifeste sous des formes innombrables, les unes classiques et pures, les autres au contraire d’un romantisme luxuriant ; il affecte, il colore tout dessin, toute figure de sons, précipitée ou lente, pathétiques triolets, batteries furieuses, traits ou arpèges déliés comme un réseau nerveux où circulerait la douleur. Ainsi l’unité d’un seul « genre » domine et rassemble la multiplicité des lignes et des mouvemens.

Aussi symphonique est la sonate, à moins qu’elle ne le soit davantage encore. Elle l’est quand elle se déploie et lorsqu’elle se rassemble ; elle l’est avec intensité par les raccourcis, et, par les développemens, avec magnificence. Rigoureusement une, elle forme un seul morceau, mais qui se divise en mouvemens divers. Trois ou quatre thèmes la composent, la remplissent, la pénètrent, au point qu’on y trouverait malaisément une mesure, ime seule, vide de l’une quelconque de ces idées maîtresses et présentes partout : idées romantiques parfois, mais avec cela souvent traitées ou travaillées à la manière classique ; idées à demi wagnériennes, quand elles ne le sont pas tout à fait, et tloiit plus d’une pourrait bien avoir été de Liszt avant d’être à Wagner. Entre Beethoven et Wagner : plus on étudie Liszt et plus on reconnaît qu’il faut le placer là, pour que l’un et l’autre l’éclairé et, d’une certaine manière, soit aussi par lui-même éclairé.

Ce n’est pas de Beethoven, c’est de Wagner que certains lieder de Liszt nous offrent des souvenirs, ou des pressentimens. Des accords