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elle-même, le poème maternel est gracieux. La ressemblance, littéraire et littérale, avec l’autre Sabat, celui de la croix, l’analogie des paroles unie à la contrariété des sentimens, donne un peu au « Stabat de la crèche « l’apparence d’un jeu d’esprit, même de mots, mais d’un jeu mélancolique et qui attendrit. La musique, avec bien de la délicatesse, a su rendre ce dernier caractère. Légèrement archaïque à dessein, par l’emploi de la polyphonie vocale, elle ne craint pas, çà et là, de glisser dans le style ancien ne fût-ce qu’un accord, une inflexion mélodique, une cadence plus moderne, qui, sans l’altérer, le relève. Mais surtout le musicien, après le poète liturgique, n’a point omis de mêler à la joie de la nativité présente un pressentiment, un avant-goût de la tristesse et de la mort future. Déjà Sébastien Bach, avec une sobriété pathétique, avait esquissé le même contraste. Dans l’oratorio de Noël, aussitôt après le chœur du commencement, acclamation céleste et triomphale, une ombre se répand sur de graves récits. « Abandonne les pleurs, ô Sion ! » chante une voix qui semble encore pleurer, ou plutôt pleurer d’avance. Et voici que les fidèles accueillent leur Dieu nouveau-né par le plus morne des cantiques. C’est le choral fameux et funèbre : « Ô tête sanglante et couverte de blessures. » Dès la première heure il annonce l’heure suprême ; au pied de la crèche il nous montre la croix.

Dans l’étable maintenant Liszt amène tour à tour les bergers et les rois. Il dessine avec ampleur et surtout il colore avec magnificence deux grandes « adorations. » La première est une pastorale, et une pastorale romaine : j’entends que les thèmes, au moins les thèmes rustiques dont elle est faite, ressemblent aux refrains et aux « musettes » des pifferari de la Campagna. On aurait tort de s’en étonner. Christus est une œuvre où Rome, de plus d’une manière, a sa part. Conçue à Weimar, c’est à Rome qu’elle fut reprise et terminée. Aussi bien il ne messied pas que, pour célébrer le divin enfant, la musique ait recueilli des chansons d’enfans romains. La couleur locale même n’en saurait souffrir. Une partie de la crèche est conservée dans la basihque de Sainte-Marie Majeure (qui s’appelle aussi ad Præsepe), où viennent la vénérer, à certains jours de fête, les petits pèlerins de l’Agro romano. Et puis, Bethléem et Rome, entre ces lieux sacrés, l’un où le Christ est né, l’autre où vit son Église, n’y a-t-il pas des rapports étroits, mystérieux, dont l’idée peut s’éveiller en nous au bruit de quelques notes légères ? A celles-ci d’autres succèdent, puis se mêlent, plus profondes, ferventes et comme enthousiastes. La mélodie est toujours ici de qualité supérieure, jamais pauvre, ou