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ce fut un grand peuple jusqu’à la seconde guerre l’unique ! — César, César, voilà le grand homme ! — Non pas seulement César, mais aussi certains empereurs, comme Titus, Trajan, Marc-Aurèle ! » A propos des Commentaires de César, et de leur illustration par Palladio, l’Empereur se fait décrire les palais dont ce grand architecte a rempli les Etats vénitiens. Il discute avec Canova les mérites respectifs des nouvelles écoles de peinture, française et italienne. Et ce sont encore vingt autres sujets abordés tour à tour, dont chacun offre au sculpteur l’occasion de hasarder une nouvelle requête, soit en faveur d’un jeune collègue, ou des vénérables fresques des églises de Florence, pour lesquelles il obtient la promesse de prochaines restaurations, ou bien, une fois de plus, en faveur de l’Église et du pape prisonnier. Mais toujours ce dernier sujet importune visiblement Napoléon, qui s’empresse de l’écarter au moyen d’une question nouvelle, pour le voir bientôt reparaître à un tournant de la discussion. Et c’est le patient et subtil Vénitien qui finit par avoir le dessus, dans cette première escarmouche. Napoléon lui ayant parlé de la puissance des Romains d’autrefois, Canova lui répond que cette puissance s’appuyait sur le sentiment religieux, et que plus tard toute la civilisation a été l’œuvre du christianisme. « D’où je tirai la conclusion que la religion exerce une influence énorme au profit des arts, et que, entre toutes les religions, notre catholicisme romain est tout particulièrement favorable aux arts, tandis que les protestans n’ont encore jamais eu un artiste de valeur. — Ce qu’il dit là est bien vrai ! dit l’Empereur en s’adressant à Marie-Louise. C’est la religion qui a nourri les arts, et jamais les protestans n’ont rien produit de beau. »

Les jours suivans, le sculpteur continue de travailler à son buste, mais sans revoir Napoléon : et aussi ne reprend-il son journal que le lundi 29 octobre, lorsque déjà le portrait de l’Impératrice est fort avancé. Napoléon est ravi de ce portrait, — et cela nous montre à quel point le grand homme était amoureux de sa seconde femme, tout comme il l’avait été de la première : car on ne saurait imaginer une figure à la fois plus laide et d’une expression moins intelligente que celle que le réalisme inflexible du sculpteur lui a fait saisir là, dans sa vie familière. Aussi bien est-ce un jeune marié amoureux qui nous apparaît d’un bout à l’autre de ce « journal » de Canova, priant celui-ci de gronder Marie-Louise pour ses imprudences, reprochant plaisamment à la jeune femme de l’avoir détesté pendant qu’il faisait la guerre à l’Autriche, ou encore s’étonnant que le sculpteur ait pu se résigner à demeurer célibataire. Mais nous sentons d’autre part que