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Facultés de droit. L’Indochine se trouve donc privée de cette corporation des avocats indigènes que les Anglais considèrent comme la cause principale du désordre indien. Nous n’avons pas à la regretter. Nous devons, au contraire, demander à notre enseignement la formation d’hommes laborieux qui deviendront, d’après leurs aptitudes particulières, d’adroits contremaîtres, de bons agronomes, d’habiles entrepreneurs, d’honnêtes commerçans, d’actifs industriels. Le pays annamite en a grand besoin, et la colonisation française ne saurait s’en passer : de nombreuses années s’écouleront avant que les intérêts coalisés des producteurs et des consommateurs indigènes provoquent un swadeshisme indochinois contre lequel nous avons le temps de prendre nos précautions. Laissons le soin de la formation littéraire et philosophique aux thày giao traditionnels, aux Frères et aux missionnaires français ou espagnols : ils s’en acquittent bien mieux que les apôtres d’une éthique d’exportation.

L’Angleterre a ouvert toutes grandes les portes de ses Universités aux étudians hindous. Ils s’y sont précipités, ont conquis tous les diplômes, et, s’estimant aussi savans que leurs maîtres, ont voulu comme eux diriger les affaires publiques de l’Inde. L’Annamite de chez nous n’a pas, actuellement, les mêmes ambitions. Sa conception de l’autorité résulte encore du régime politique, plusieurs fois séculaire, aboli par notre domination. Le royaume d’Annam était une démocratie égalitaire gouvernée par un souverain absolu : ni caste sacerdotale, ni aristocratie héréditaire ne séparaient le monarque du Tiers-Etat ; les fonctions publiques étaient exercées par les lauréats des concours littéraires, et le plus pauvre fils d’artisan pouvait prétendre aux plus hautes dignités. L’indigène a donc conservé, avec le respect théorique du pouvoir suprême, l’amour des situations officielles et la passion du mandarinat. Les prescriptions de nos derniers gouverneurs généraux sur la décentralisation administrative, le rétablissement des anciennes attributions, l’utilisation des Annamites dans les cadres européens du service civil, seraient habiles et bienfaisantes, si des circulaires suffisaient pour vaincre les préventions de la routine et l’orgueil des fonctionnaires français.

L’ambition de l’Annamite ne demande, pour être satisfaite, qu’un emploi hiérarchisé de l’Etat. Il ne comprend pas nos subtilités sur le législatif, l’exécutif et le judiciaire, et ne souhaite pas de détenir, comme représentant du peuple, une partie