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régner, » qui a préparé la grandeur de l’Angleterre et maintiendra sa domination. Avec les modérés qu’ils peuvent gagner par des concessions opportunes comme l’extension de l’Indian Councils Act, avec les souverains indigènes dont le loyalisme est aisé à conserver, avec les Musulmans dont il est facile de garder la reconnaissance intéressée, avec les « castes opprimées » dont ils essaient d’améliorer progressivement la triste condition sociale, les maîtres de l’Inde peuvent compter sur 200 millions d’indigènes que le souci de leur sécurité attache à la domination anglaise et rend hostiles aux nationalistes hindous.

En Indochine, nous sommes en présence d’une situation moins compliquée. Comme dans l’Inde anglaise, le sentiment nationaliste en est le caractère dominant ; mais nous ne savons pas encore, comme dans l’Inde, lui faire équilibre avec une coalition de croyances et d’intérêts.

Quand on discute l’avenir de nos conquêtes d’Extrême-Orient, on doit faire abstraction du Cambodge et du L ; ios qui, dans l’ensemble, ont un rôle négligeable. Notre domination ne dépend que de notre force dans le pays annamite, depuis la pointe de Camaû jusqu’à Moncay. Si nous ne sommes pas solidement établis à Saigon, Hué, Hanoï ; si nous ne sommes pas enracinés dans les cerveaux et les cœurs des Cochinchinois, Tonkinois, habitans de l’Annam central, nous ne conserverons pas les régions secondaires de notre empire indochinois. Or, le nombre est grand, des Annamites qui ne sont pas franchement ralliés au régime français ; mais ils n’appartiennent pas à une classe spéciale de la population, comme les babous indiens.

Ils ne sont pas, comme eux, victimes d’une éducation européenne sanctionnée par les diplômes les plus élevés, qui en a fait des ambitieux et des mécontens. Ils n’ont pas comparé les systèmes philosophiques de l’Est et de l’Ouest ; ils ne sont pas les champions d’une renaissance religieuse, les avocats d’une réforme sociale. Ils n’ont pas médité sur l’adaptation de la tradition au modernisme ; ils ne réclament pas une part dans la direction administrative de l’Etat, au nom de l’égalité des intelligences et du savoir. Leur nationalisme est plus simpliste : ils n’aiment pas les Français qui ont détruit le pouvoir du Roi et morcelé l’ancien royaume de Gia-Long. Les fils de leur bourgeoisie ne vont pas volontiers en Europe s’initier aux sciences occidentales dont ils n’admirent pas sans réserves les