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maintiennent, en effet, entre les deux grandes communautés de l’Inde, une hostilité permanente qui s’est encore affirmée dans le dernier Congrès national. Cet antagonisme est en outre aggravé par les tendances actuelles de l’hindouisme dont les fidèles se montrent de plus en plus enclins à pratiquer le précepte du Geeta sacré : « Tuez, et vous gagnerez le ciel. » De purement politique, le conflit entre les Hindous et les Mlennchas (Anglais et Musulmans) est devenu économique avec le swadeshisme, religieux avec la renaissance des traditions brahmaniques. Ce serait le malheur de l’Inde entière, si tous ses mécontens, ses ambitieux et ses réformateurs pouvaient entraîner les masses dans une sorte de croisade contre les Occidentaux. Et sir Francis Younghusband, le vainqueur de Lhassa, discutant les destinées de l’Inde, conclut ainsi : « Il y a peu de chances pour que Gurkhas, Bengalis, Hindous et Mahométans, Sikhs et Pathans vivent ensemble comme un seul troupeau si nous ne sommes pas là pour les garder. Mahrattes se battraient avec les Musulmans pour la suprématie, Gurkhas incursionneraient au Bengale, et les Afghans brocheraient sur le tout. Et même, en supposant, réalisé ce rêve de concorde, si les Indiens unis pouvaient résister à une invasion par terre, ils ne seraient pas capables de trouver argent et hommes pour se défendre sur la mer. Dans ce cas, ils seraient obligés de faire appel à la protection d’une puissance étrangère et deviendraient, comme l’Egypte ou le Maroc, une pomme de discorde entre les nations. »


III

Heureusement pour l’Angleterre, les disciples ou les émules de Tilak et de Krishnawarma, unis dans leur haine de la domination britannique, ne sont pas d’accord sur le régime qui doit remplacer la tutelle des Anglais. Hardis pour découdre, ils ne paraissent pas capables de reconstituer. Confédération d’Etats républicains, théocratie avec les brahmanes, aristocratie avec les zémindars, démagogie avec les babous, ne pourraient être établies qu’après le triomphe d’une insurrection sanglante, la proscription des souverains indigènes, l’écrasement des Musulmans, l’asservissement implacable des parias. Chacune de ces solutions a ses adversaires et ses partisans. Aussi les vice-rois de l’Inde n’ont-ils qu’à pratiquer la formule « : Diviser pour