Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/882

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est pas un manuel, et elle vise un public plus étendu que celui des écoles, mais elle n’en est pas moins toute pénétrée de cet esprit.

L’ « histoire batailles » est réduite à la portion « congrue, » à prendre le mot dans son acception propre. Elle n’est pas sacrifiée, mais on ne l’accusera certes pas d’empiéter sur le reste. De même certains personnages, certains épisodes popularisés par la littérature, et qui par tradition occupaient jusqu’ici dans l’histoire générale une place que leur rôle ou leur importance historique ne semblent pas toujours justifier, sont ramenés à leurs dimensions véritables ou rappelés au sentiment de la modestie. Ainsi la Fronde occupe moins de pages que le jansénisme, et tout de même, cela ne paraît pas beaucoup ; le cardinal de Retz redescend au second plan comme s’il n’avait pas écrit ses Mémoires, encore que les avoir écrits ne soit pas le fait du premier venu.

L’objet que se proposent M. Lavisse et ses collaborateurs est de descendre de leur piédestal les réputations usurpées ou surfaites qu’on finit par accepter sans les discuter, et surtout parce qu’on ne les discute pas. Ce qui les préoccupe le plus, c’est de faire saisir les changemens qui s’opèrent sans cesse et parfois sans bruit, sans que les contemporains s’en doutent et sans que la postérité en aperçoive après coup la marche, dans la société, le gouvernement, les mœurs, les conceptions religieuses. Assurément, bien des histoires antérieures ont eu aussi cette ambition et ont cherché plus ou moins à la réaliser, mais ce n’était pas chez elles l’idée directrice et maîtresse. Les chapitres quelles consacrent aux institutions, au mouvement des esprits, à l’évolution sociale et économique, donnent parfois l’impression d’un « placage. » Ils ne font pas corps avec le fond du récit. Ils n’en sont pas l’âme. Ils restent comme en marge de l’histoire des guerres et des traités, considérée toujours comme la base immuable de l’histoire, tout au moins de l’histoire générale. On y sent une concession à l’esprit nouveau plutôt que le souffle même de l’esprit nouveau.

Dans l’Histoire de M. Lavisse se marque un effort conscient et résolu pour faire quelque chose de plus qu’une retouche et une mise au point. Il ne s’agit plus ici d’adapter la conception traditionnelle de l’histoire à des exigences supplémentaires, d’atténuer en une certaine mesure la prépondérance attribuée